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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 111

Le jeudi 30 mars 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 30 mars 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

La sanction royale

Son Honneur le Président informe le Sénat qu’il a reçu la communication suivante :

RIDEAU HALL

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous aviser que la très honorable Mary May Simon, gouverneure générale du Canada, a octroyé la sanction royale par déclaration écrite aux projets de loi mentionnés à l’annexe de la présente lettre le 30 mars 2023 à 10 h 3.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.

Le secrétaire du gouverneur général et chancelier d’armes,

Ian McCowan

L’honorable

Le Président du Sénat

Ottawa

Projets de loi ayant reçu la sanction royale le jeudi 30 mars 2023 :

Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l’autisme (projet de loi S-203, chapitre 2, 2023)

Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2023 (projet de loi C-43, chapitre 3, 2023)

Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2024 (projet de loi C-44, chapitre 4, 2023)


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable Rosa Galvez
L’honorable Wanda Thomas Bernard, O.C., O.N.S.

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole aujourd’hui pour rendre hommage aux réalisations de femmes remarquables, dont deux de nos collègues. À l’occasion de la Journée internationale des femmes, l’organisme Women of Influence+ a publié son palmarès des 25 femmes les plus influentes. Ces prix visent à « reconnaître les réalisations exceptionnelles de femmes issues de la diversité, dans divers domaines et à différents stades de leur carrière ainsi que leur apport à l’essor des femmes ».

Parmi les lauréates de cette année figure la sénatrice Rosa Galvez, dont les travaux dans le dossier de l’environnement ont été tout particulièrement soulignés. Sa carrière sert d’exemple aux jeunes femmes et aux filles qui, comme la sénatrice Galvez elle‑même, ont peut-être décidé tôt dans leur vie ce qu’elles voulaient faire. Sénatrice Galvez, la fillette de 10 ans qui rêvait de contribuer à un environnement plus propre et plus sain serait certainement fière de tout ce que vous avez accompli. Je sais que je parle au nom de tous les sénateurs quand je dis que nous savons que vous poursuivrez dans cette voie. Je vous en félicite.

Les autres lauréates de cette année sont Cheyenne Arnold-Cunningham, Louise Aspin, Kirstin Beardsley, Linda Biggs, Elvalyn Brown, la Dre Vivien Brown, Margaret Coons, Jan De Silva, Lovepreet Deo, Natalie Evans Harris, Allison Forsyth, Haben Girma, l’honorable Karina Gould, Eva Havaris, Nicole Janssen, Janet Ko, Maya Kotecha et Carly Shuler, Rachel Ollivier, Bobbie Racette, Paulette Senior, Domee Shi, Christine Sinclair et Suzie Yorke. Elles représentent un large éventail de carrières et de réalisations, et je leur présente toutes mes félicitations.

En plus de la reconnaissance de ces 25 femmes extraordinaires, un prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations a été remis à la sénatrice Wanda Thomas Bernard.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Cordy : Les impressionnantes réalisations de la sénatrice ont été reconnues, notamment son engagement à améliorer la situation des communautés marginalisées. Wanda, c’est pour moi un plaisir renouvelé chaque fois que j’ai à parler de la reconnaissance des réalisations accomplies au cours de votre vie, une vie consacrée à aider votre prochain.

La sénatrice Bernard a été interviewée par Women of Influence+ pour l’occasion, et je voudrais lire un passage de cette entrevue où elle parle de ses motivations. Elle a dit ceci :

Chaque action prend sa source dans une analyse critique qui me ramène chaque fois à mes ancêtres et aux luttes qu’ils ont menées avec si peu, des luttes qui ont pourtant laissé un legs puissant. C’est moi qui porte aujourd’hui ce legs. Je porte leurs espoirs et leurs rêves et j’ai le devoir et la responsabilité de m’assurer, au sein de ma sphère d’influence, de changer la donne pour les générations qui me suivront.

Sénatrice Bernard, vous avez déjà établi votre propre legs, et je sais que beaucoup de gens vous sont reconnaissants du travail que vous avez accompli et que vous continuez d’accomplir. Vous avez déjà changé la donne pour les générations futures. Vous êtes une personne remarquable et un modèle pour plein de gens, en particulier pour les jeunes femmes.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour féliciter les sénatrices Galvez et Bernard, ainsi que toutes les femmes remarquables à qui l’on rendra hommage lors d’une cérémonie la semaine prochaine.

Merci.

(1410)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Jheanelle Anderson, Bernard Akuoko Dabankah et Nkemakolam Ogbonna, de l’ASE Community Foundation for Black Canadians with Disabilities. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Bernard.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, à l’approche du Mois de l’acceptation de l’autisme, je prends la parole aujourd’hui pour souligner la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, qui aura lieu le 2 avril. J’aimerais d’abord remercier chacun d’entre vous de votre appui ayant mené à l’adoption, plus tôt cette semaine, du projet de loi S-203 à la Chambre des communes.

Le sénateur Peter Boehm et moi, fortement inspirés par notre ancien collègue le sénateur Munson, avons présenté ce projet de loi dans le but de prévoir « l’élaboration d’un cadre fédéral visant à soutenir les Canadiens autistes, leur famille et leurs aidants ». Son adoption me rend très heureux pour ces Canadiens.

Selon l’Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes de 2019, un enfant ou jeune canadien sur 50 — ou 2 % des enfants et des jeunes canadiens — a reçu un diagnostic de trouble du spectre autistique, ce qui fait de l’autisme la maladie neurodéveloppementale la plus courante au Canada. Ce diagnostic permanent touche tous les groupes raciaux, ethniques et socioéconomiques. Malgré l’incroyable persévérance des autistes, de leur famille et de leurs soignants et malgré le travail inspirant des organismes qui se consacrent à l’autisme au pays et qui œuvrent dans tous les secteurs pour offrir du soutien, améliorer notre compréhension de l’autisme, accroître notre acceptation de celui-ci et promouvoir l’inclusion des autistes — tels que le centre d’autisme À pas de géant et le Réseau pour transformer les soins en autisme, qui mènent leurs activités dans ma ville, Montréal —, les personnes souffrant des troubles du spectre autistique et ceux qui les soutiennent sont toujours aux prises avec de graves difficultés partout au Canada.

Il existe d’importantes lacunes en matière de services, et les services offerts dans les différentes provinces et territoires ne sont pas harmonisés, ce qui entraîne des inégalités. On peut citer comme exemples les longues listes d’attente pour les diagnostics et les services, les dépenses importantes à la charge des familles, les carences de financement pour les prestataires de services et le manque criant de soutien pour les personnes autistes.

L’adoption de ce projet de loi marque un tournant pour le Canada, et en particulier pour les autistes canadiens, qui méritent de recevoir les services et le soutien dont ils ont besoin pour s’épanouir et être pleinement intégrés dans tous les secteurs de la société canadienne.

Ce cadre prévoit des aides financières et un contrôle de l’utilisation des fonds fédéraux, des recherches et une amélioration de la collecte des données, ainsi qu’un accroissement des services et des ressources.

Le Mois de l’acceptation de l’autisme — et vous remarquerez que « sensibilisation » a été remplacé par « acceptation », ce qui est tout à fait intentionnel, chers collègues — est le moment de se concentrer sur l’acceptation, le soutien et l’inclusion des personnes autistes, sur la défense de leurs droits et sur la reconnaissance de leurs importantes contributions à la société canadienne. Nous devons être fiers des progrès réalisés au Canada, mais nous savons qu’il reste du pain sur la planche, et que nous devons nous y atteler ensemble pour faire du Canada un pays plus inclusif à l’égard des autistes.

Sur ce, je souhaite à tous, en particulier aux Canadiens autistes et à leurs familles, un excellent Mois de l’acceptation de l’autisme et une excellente Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Je vous remercie, chers collègues.

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du chef Junior Gould, de la Première Nation Abegweit. Il est l’invité de l’honorable sénateur Francis.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le Mois de la Francophonie

L’honorable René Cormier : Chers collègues, je demande votre indulgence aujourd’hui, car c’est avec une voix fragile que je m’adresse à vous — fragile, un peu à l’image de la fragilité de la langue française au Canada.

En effet, la langue française est fragilisée partout en ce moment au pays. Le nombre de personnes qui parlent le français de façon prédominante à la maison continue d’augmenter, mais le poids démographique des francophones diminue de plus en plus rapidement dans notre pays.

Les défis sont de plus en plus nombreux pour contrer le déclin démographique de la francophonie canadienne et agir pour redresser la situation. Il nous faut mobiliser la jeunesse, assurer un accès à l’éducation en langue française de la petite enfance au postsecondaire partout au pays, accroître l’immigration francophone et créer des espaces culturels et des espaces de vie attrayants pour les francophones et les francophiles d’ici et d’ailleurs.

Cette responsabilité d’assurer l’avenir de la langue et de la culture françaises au Canada ne repose pas sur les seules épaules des communautés de langue officielle en situation minoritaire et du Québec. Il appartient à nous tous, Canadiens et Canadiennes, de reconnaître l’importance de cette langue et de mettre la main à la pâte pour assurer sa pérennité.

Le mois de mars qui se termine nous a offert l’occasion de célébrer la richesse d’une de nos deux langues officielles et de réaffirmer la place qu’occupe le Canada dans la Francophonie internationale.

La Francophonie, dont le Canada est membre, a pour mission de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, de promouvoir la paix, la démocratie et les droits de la personne et d’appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche.

C’est donc bien plus qu’une langue que nous avons célébrée ce mois-ci. C’est un espace culturel, social, politique et économique.

Toutefois, comment s’incarne la francophonie au Canada? Qui assure la présence de la langue française d’un océan à l’autre au Canada? Il y a incontestablement le Québec qui possède une richesse linguistique et culturelle inestimable et qui agit comme un foyer majeur d’expression et de rayonnement de cette langue.

Cependant, nous pouvons affirmer que ce sont principalement les citoyennes et citoyens des communautés de langue officielle en situation minoritaire et leurs amis qui agissent dans les provinces et territoires pour que la langue française fleurisse et s’épanouisse dans tout le pays, et que des espaces de vie en français puissent accueillir des francophones et francophiles de partout, réaffirmant ainsi le contrat social du Canada.

Aussi, chers collègues, le temps est venu de doter notre pays d’une Loi sur les langues officielles modernisée, robuste et forte. Le temps est venu de se doter d’une politique d’immigration francophone audacieuse et efficace. Le temps est venu de mettre en œuvre des lois qui assurent la juste place que doivent occuper la langue française et les artistes francophones dans l’espace numérique et dans nos lieux culturels.

Comme législateurs, nous avons le pouvoir d’agir. Soyons visionnaires et travaillons tous ensemble pour assurer l’avenir de ce trésor national qu’est la langue française, parlée par 321 millions de locuteurs répartis sur cinq continents. En espérant que vous avez eu un bon Mois de la Francophonie et que vous continuerez de célébrer cette langue française tout au long de l’année. Merci, honorables sénateurs.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de McKayla Wolfer et de Rose Knetsch. Elles sont les invitées de l’honorable sénatrice Sorensen.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les Jeux d’hiver du Canada de 2023

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, du 18 février au 5 mars, l’Île-du-Prince-Édouard a accueilli les Jeux d’hiver du Canada de 2023. Au cours des deux semaines que les jeux ont duré, un total de 20 sports ont été présentés dans le cadre de 150 événements. Ce fut l’expérience d’une vie pour de jeunes athlètes provenant des quatre coins du Canada. L’équipe de la Saskatchewan a livré une excellente performance. Nos athlètes ont remporté 20 médailles lors de ces jeux d’hiver, soit trois de plus que lors des derniers jeux, en 2019.

L’un des groupes de jeunes athlètes que je tiens à souligner est l’équipe de ringuette de la Saskatchewan. La ringuette est l’un des sports les plus rapides joués sur glace. Après avoir perdu ses deux premières parties, l’équipe de la Saskatchewan s’est battue pour se rendre à la ronde des médailles en faisant notamment une remontée spectaculaire en quart de finale, où elle a remporté la victoire contre l’équipe du Nouveau-Brunswick. Comme Maddy Nystrom, la gardienne de but de l’équipe, l’a dit après la partie :

Notre équipe n’a pas abandonné. Nous n’abandonnons pas. Nous avons démarré lentement dans le tournoi à la ronde. Nous avons progressé, nous nous sommes améliorées à chaque partie et nous avons persévéré. Nous voulions tellement gagner.

Tout ce travail a été récompensé lors du match pour la médaille de bronze, où l’équipe de la Saskatchewan a remporté la victoire en prolongation contre l’équipe de l’Île-du-Prince-Édouard avec un pointage de 4 à 3 grâce à un magnifique but marqué par Rylie Bryden. C’était la première médaille de l’équipe de ringuette de la Saskatchewan en 24 ans et seulement la deuxième médaille pour ce sport dans l’histoire de la province : la dernière était une médaille de bronze remportée en 1999.

Étant donné que mars est le Mois de l’histoire des femmes, il est particulièrement emballant de voir une équipe composée uniquement de femmes, et entraînée strictement par des femmes, obtenir de bons résultats à la ringuette lors de ces jeux. Cela en dit long sur l’engagement de ma province, la Saskatchewan, envers les entraîneuses et les athlètes féminines dans un sport pratiqué là-bas par tant de femmes.

Par ailleurs, je suis très heureux de signaler que ma ville, Regina, accueillera les Championnats canadiens de ringuette 2023 le mois prochain, du 9 au 15 avril. Nous sommes impatients de regarder toutes les joueuses talentueuses de ringuette, qui viennent d’un bout à l’autre du pays.

Merci. Hiy kitatamihin.

(1420)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du régiment Cameron Highlanders of Ottawa (Duke of Edinburgh’s Own), notamment de son commandant, le lieutenant-colonel Gord Scharf, et du colonel honoraire Dan MacKay. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Patterson (Ontario).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Jour de la bataille de Vimy

L’honorable Rebecca Patterson : Honorables sénateurs :

Des canons à leur droite,

Des canons à leur gauche,

Des canons devant eux,

Mitraillant et grondant;

Et assaillis de boulets et d’obus,

Ils chevauchaient hardiment

Dans les griffes de la mort,

Jusqu’aux portes de l’enfer,

Chevauchaient les six cents.

Lord Tennyson a écrit le poème Charge de la brigade légère lors de la guerre de Crimée en 1854, mais il aurait très bien pu parler des quatre divisions canadiennes qui se sont battues pour prendre la crête de Vimy en avril 1917, en France.

Cinquante ans à peine après la Confédération, les quatre divisions de l’armée canadienne ont combattu ensemble pour la première fois et, le 9 avril, se sont lancées à l’assaut de la crête qui était demeurée hors de la portée des puissances de l’Entente.

Le 38th Ottawa Overseas Battalion, qui utilisait la pelouse de la Colline du Parlement pour ses entraînements et qui aujourd’hui porte le nom de Cameron Highlanders of Ottawa (Duke of Edinburgh’s Own), comptait parmi les nombreux bataillons qui ont pris part à la bataille.

Thain MacDowell, alors capitaine, puis major, a reçu la Croix de Victoria, la première du 38th Battalion, pour ses efforts à Vimy, où lui et deux coureurs ont capturé une tranchée et un bunker allemands, s’emparant de deux mitrailleuses et faisant 77 prisonniers.

Pendant quatre jours, les soldats canadiens — nos fils, nos frères, nos maris — ont tout donné. Ils ont payé un terrible tribut : plus de 10 000 d’entre eux ont été tués ou blessés.

Ces soldats blessés ont été pris en charge par une organisation encore nouvelle, le Corps de santé de l’Armée canadienne, qui a été fondé en 1904. Pendant les quatre années de la Grande Guerre, 21 453 personnes ont porté l’insigne du Corps de santé de l’Armée canadienne, et trois d’entre elles ont reçu la Croix de Victoria.

Les Canadiennes ont joué un rôle inestimable pendant la Première Guerre mondiale. Plus de 2 800 Canadiennes ont servi en tant qu’infirmières militaires. Surnommées les « oiseaux bleus » en raison de leur robe bleue assortie d’un voile blanc, elles ont offert tranquillité et réconfort aux soldats blessés. Sans combattre dans les tranchées, les infirmières du Canada ont offert leur soutien lors de toutes les batailles, y compris celle de la crête de Vimy. De ces 2 845 infirmières militaires, 58 ont fait le sacrifice ultime.

Je vais conclure en citant quelques lignes d’un autre poète, qui a aussi été médecin de l’armée canadienne — vous en avez peut-être entendu parler —, le lieutenant-colonel John McCrae. Lorsque vous prendrez un instant la semaine prochaine pour commémorer la bataille de la crête de Vimy et réfléchir aux sacrifices consentis, rappelez-vous les mots suivants :

[Français]

Nous sommes morts,

Nous qui songions la veille encore

À nos parents, à nos amis,

C’est nous qui reposons ici,

Au champ d’honneur.

[Traduction]

Merci, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

Le Mois national du travail social

L’honorable Nancy J. Hartling : Honorables sénateurs, mars est le Mois national du travail social, une occasion d’honorer et de célébrer les travailleurs sociaux pour leur dévouement inébranlable à leur profession d’un océan à l’autre. Je crois qu’ils sont indispensables au bien-être des Canadiens.

Merci à l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, ainsi qu’à la sénatrice Bernard et à notre personnel, qui ont aidé à organiser deux événements en ligne pendant le Mois national du travail social de 2023. Depuis 2019, nous participons à des événements liés au travail social comme celui-là sur la Colline.

En mars, nous avons pu mettre l’accent sur deux thèmes très importants, notamment la violence entre partenaires intimes dans le contexte du projet de loi S-249, avec notre conférencière d’honneur, Rina Arseneault, ancienne directrice associée du Centre Muriel McQueen Fergusson de recherche sur la violence familiale à Fredericton. Notre deuxième séance s’est axée sur la pauvreté et sur l’effet d’un revenu de base garanti, tel que le définit le projet de loi S-233, avec des conférenciers d’honneur comme la sénatrice Pate et Chrys Saget-Richard, un travailleur social.

La pauvreté et la violence fondée sur le sexe touchent profondément tous les Canadiens, et les travailleurs sociaux sont toujours là pour apporter un soutien essentiel. Ce fut une excellente occasion de discuter des liens avec la législation et des enjeux qui nous touchent tous, ainsi que d’explorer avec des travailleurs sociaux le fonctionnement du processus législatif.

De plus, je tiens sincèrement à saluer et à remercier tous les travailleurs sociaux qui ont travaillé avec diligence au cours des trois dernières années et qui continuent de faire un travail remarquable après la pandémie. À ces gens qui travaillent souvent discrètement et dont on ne souligne pas beaucoup la contribution, j’aimerais dire que leur travail est important et nécessaire, et que nous leur en sommes extrêmement reconnaissants. Je remercie également tous les étudiants en travail social qui ont souvent fait des études en ligne.

Au Canada, on compte 52 823 travailleurs sociaux, dont plus de 2 950 se trouvent dans ma province, le Nouveau-Brunswick. Ces gens dévoués occupent une foule de fonctions dans de nombreux milieux de travail, comme des hôpitaux, des écoles, des services d’aide à l’enfance, des services de soins aux jeunes et aux aînés, des centres de désintoxication, des établissements correctionnels, des services communautaires, des universités, et certains travaillent même dans cette Chambre en tant que législateurs. Je les remercie infiniment.

En tant que parlementaire et travailleuse sociale — car quand on est travailleur social, on l’est pour la vie —, je sais que les travailleurs sociaux jouent un rôle essentiel pour aider les gens à s’y retrouver dans des systèmes complexes, en particulier les systèmes de justice pénale, de santé, d’éducation et d’emploi. Ce sont des militants essentiels pour la diversité, la lutte contre le racisme et l’élimination de toutes les formes d’oppression et de marginalisation. Ces travailleurs dévoués sont tournés vers l’avenir et continuent de faire une immense différence dans la vie des Canadiens.

La devise des travailleurs sociaux est : « Nous soutenons. Nous mobilisons. Nous plaidons. Nous sommes responsables. Nous sommes des travailleuses et travailleurs sociaux. »

[Français]

Merci à tous les travailleurs sociaux de partout au Canada pour votre détermination et votre engagement incroyables.

Je vous souhaite un bon Mois national du travail social!

Merci beaucoup.


AFFAIRES COURANTES

L’étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire

Dépôt du deuxième rapport du Comité des langues officielles

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles intitulé L’immigration francophone en milieu minoritaire : pour une démarche audacieuse, coordonnée et renforcée. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion du sénateur Cormier, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

L’étude sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général

Dépôt du onzième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le onzième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie intitulé Tous ensemble — Le rôle de l’analyse comparative entre les sexes plus dans le processus d’élaboration des politiques : Réduire les obstacles à une analyse intersectionnelle inclusive des politiques. Je propose que l’étude du rapport soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.

(Sur la motion de la sénatrice Bovey, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

La Loi sur la radiocommunication

Projet de loi modificatif—Présentation du quatrième rapport du Comité des transports et des communications

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui porte sur le projet de loi S-242, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication.

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 1358.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion du sénateur Housakos, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1430)

Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice McCallum, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les finances

Le budget de 2023

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, lorsque la ministre Freeland a présenté sa première mise à jour économique de l’automne en tant que ministre des Finances, en décembre 2020, elle a déclaré ce qui suit dans une entrevue qu’elle a accordée à l’époque :

Quand on installe des garde-fous le long d’un chemin, ils doivent être ancrés solidement à quelque chose. Je peux vous assurer qu’il y aura des garde-fous solides, stables et bien visibles en place le long du chemin au moment de l’emprunter.

J’aimerais attirer votre attention sur le commentaire d’un analyste que la Banque Scotia a cité dans son rapport sur le budget. Il disait ceci :

Les dépenses annuelles seront de 171 milliards de dollars plus élevées qu’en 2019-2020 à la fin de la période de projection. Elles sont 32 % plus élevées en 2022-2023 que durant l’exercice 2019-2020. La ministre Freeland estime faire preuve de prudence, mais je ne partage pas cet avis. C’est la ministre des Finances la plus dépensière que ce pays ait connue depuis longtemps.

Monsieur le leader, le gouvernement Trudeau s’est vendu corps et âme au NPD et il ne prétend même plus vouloir faire preuve de rigueur budgétaire. Il y a des mots pour désigner les personnes qui se vendent ainsi. Je ne suis pas sûr qu’ils conviennent dans un contexte parlementaire, alors je m’abstiendrai de les employer.

Monsieur le leader, le gouvernement NPD-Trudeau se démarque par le fait qu’il n’a pas de limite, pas de garde-fou, pas de cible. Que reste-t-il?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le budget prévoit une aide cruciale pour les Canadiens qui ont du mal à composer avec le coût de la vie élevé. Ainsi, il fournira une aide cruciale à 11 millions de ménages grâce à des mesures ciblées. En parallèle, le budget tient aussi compte des enjeux actuels et prévoit des investissements nécessaires en vue de verdir le réseau énergétique et de préserver la viabilité de l’environnement, un investissement dans notre avenir et celui de nos enfants et de nos petits-enfants.

De toute évidence, les économistes et les commentateurs qui réagissent sur le vif ont des points de vue divergents, puisqu’il y a autant de points de vue que d’écoles de pensée et d’idéologies parmi tous ces gens. Comme vous avez cité un de ces analystes, permettez-moi de répliquer en citant l’ancien directeur parlementaire du budget, Kevin Page, qui a beaucoup écrit dans le Globe and Mail dernièrement. Voici ce qu’il a dit :

Dans un contexte où l’inflation est élevée et où des nuages noirs assombrissent l’horizon économique, une stratégie budgétaire doit, pour être crédible, être prudente. Il faut reconnaître les risques de détérioration de l’économie, limiter les nouvelles mesures et maintenir les règles financières. Dans l’ensemble, le budget de 2023 repose sur une stratégie budgétaire crédible.

Chers collègues, notre performance économique en fait foi. Le ratio de la dette au PIB du budget de 2022 était de 42,4 %. Il a augmenté un peu. Les taux plus élevés contribuent certes, cette année, au ratio de la dette au PIB de 43,5 %, et nos projections prévoient, conformément aux projections budgétaires de l’an dernier, qu’il chutera à moins de 40 % pendant la décennie en cours. Cette situation se compare favorablement aux ratios de la dette au PIB de 66 % en Allemagne, de 92 % au Royaume-Uni et de 98 % aux États-Unis. Nous sommes en tête des pays du G7 en ce qui concerne l’important indicateur qu’est le ratio de la dette au PIB. Cela témoigne du sens de la responsabilité du gouvernement à l’égard des Canadiens, maintenant et pour l’avenir.

Le sénateur Plett : Nous allons tous les deux avoir l’occasion de présenter des discours sur le budget dans quelques semaines, mais comme vous n’avez pas répondu à la question, je vais y répondre à votre place. Je vais vous dire ce qui reste. C’était la question.

Ce qui reste, après toutes ces dépenses, est une dette d’une ampleur inimaginable. Contracter une deuxième hypothèque sur sa maison n’aide pas le Canadien moyen qui a déjà de la difficulté à respecter ses versements hypothécaires. La dette fédérale canadienne pour le prochain exercice financier devrait atteindre 1,22 billion de dollars. J’ai de la difficulté à visualiser une somme aussi importante.

La ministre Freeland a déjà promis aux Canadiens que la dette liée à la pandémie serait remboursée. Toutefois, selon le budget du gouvernement Jagmeet Singh-Trudeau, cette dette ne sera jamais remboursée. D’ici 2028, elle atteindra 1,31 billion de dollars, monsieur le leader. Soyons réalistes. Si le NPD reste à la tête de ce gouvernement — et rien ne laisse croire le contraire —, ils vont dépasser cette projection, et de loin.

Monsieur le leader, vous avez dit hier qu’il s’agissait d’un budget responsable, et vous avez laissé entendre la même chose aujourd’hui. Je ne suis pas d’accord. Comment pouvez-vous dire qu’il est responsable de laisser une dette astronomique à nos petits‑enfants et nos arrière-petits-enfants? Est-ce ainsi que vous gérez le budget de votre ménage, monsieur le leader?

Le sénateur Gold : Je gère le budget de mon ménage de façon responsable. J’investis maintenant dans l’avenir de mes enfants et de mes petits-enfants. Le gouvernement investit de manière responsable dans notre avenir collectif.

Vous demandez ce qui reste, sénateur. Ce budget veille à ce qu’aucun Canadien ne reste sur le carreau. Le nouveau remboursement pour l’épicerie offre une aide ciblée à 11 millions de Canadiens et de familles à revenu faible ou modeste qui en ont vraiment besoin. Il s’attaque aux frais indésirables cachés, comme les frais d’itinérance plus élevés pour les télécommunications, les frais ajoutés sur les billets de spectacle ou de concert, etc., qui grugent le pouvoir d’achat de ceux qui peuvent le moins se le permettre. Il s’attaquera aux pratiques de prêt abusives en proposant de réduire les taux d’intérêt excessifs. Il réduira les frais de transaction des cartes de crédit, ce qui sera avantageux non seulement pour les consommateurs, mais aussi pour les petites entreprises. Il offrira aussi un système de production automatisée des déclarations de revenus afin qu’un plus grand nombre de Canadiens à faible revenu puisse faire leur déclaration et recevoir les prestations que beaucoup trop d’entre eux ne reçoivent pas par manque de capacités ou de connaissances, ou bien parce qu’ils ne produisent pas une déclaration de revenus.

(1440)

Le budget vient en aide aux étudiants de niveau postsecondaire pour qu’ils puissent payer leurs études en bonifiant les Bourses d’études canadiennes et les prêts d’études canadiens sans intérêt. Il aidera les Canadiens à acheter leur première maison. La liste est encore longue.

Voilà ce qui reste : une détermination à aider les Canadiens, ce que le gouvernement continue de faire.

Le déficit fédéral—L’économie

L’honorable Leo Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, ce que vous venez de mettre en évidence est la frénésie de dépenses à laquelle ce gouvernement s’est livré au cours des sept dernières années et demie. Félicitations.

Cette situation explique, bien sûr, pourquoi le premier ministre a doublé la dette. Il a créé à lui seul une dette plus importante que celle de tous les autres premiers ministres de l’histoire du pays réunis. Ce qui me préoccupe, et ce qui préoccupe l’opposition, ce n’est pas la manière dont vous et moi gérons nos finances, parce qu’en vérité, je ne me préoccupe pas des personnes qui sont employées par le gouvernement du Canada ou le Parlement du Canada. Je me préoccupe des personnes qui travaillent pour le Canada, qui sont taxées à mort et qui, à l’heure actuelle, vivent des moments difficiles chaque fois qu’elles vont à l’épicerie ou qu’elles essaient de payer des chaussures à leurs enfants pour les envoyer à l’école. Ce sont ces gens-là qui me préoccupent.

Ma question est simple. En 2015, le premier ministre actuel s’est engagé auprès de la population canadienne à limiter la dette à deux exercices financiers et à rétablir l’équilibre budgétaire au plus tard en 2019. C’est ce qu’il a promis.

La question est simple : pourquoi a-t-il menti au peuple canadien?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénateur Housakos, je m’abstiendrai de commenter le fait que vous avez une fois de plus accusé le premier ministre de mauvaise foi et, selon certaines traditions, de péché. C’est un manque de respect et c’est indigne du Sénat.

Face à une pandémie mondiale, je suppose que l’opposition aurait préféré que nous nous contentions de réduire les impôts et de ne rien faire pour aider les Canadiens. Face à l’invasion de l’Ukraine par l’Union soviétique, je suppose que l’opposition aurait insisté pour que le gouvernement ne fournisse pas les milliards de dollars qui permettent d’aider l’Ukraine. En effet, l’opposition a voté contre le budget, qui comprenait de telles mesures.

Le fait est que le gouvernement a été là pour les Canadiens, qu’il a réagi aux circonstances et aux exigences des événements et qu’il continuera à le faire. Je le répète : le gouvernement agira de manière à maintenir la force de notre économie pendant la pandémie et au-delà, à maintenir notre cote de crédit et à maintenir notre statut à titre de pays ayant la meilleure croissance du G7 et le plus faible ratio de la dette par rapport au PIB.

Le sénateur Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, les dépenses effrénées de l’actuel gouvernement ont eu pour seul résultat d’engendrer un niveau d’inflation sans précédent qui, répétons-le encore une fois, afflige les travailleurs de la classe moyenne et les petits salariés canadiens. L’actuel gouvernement ne tient pas compte du fait que les taux d’intérêt peuvent augmenter à tout moment. Voilà pourquoi, il y a un an, le Canada affichait l’un des meilleurs ratios dette-PIB au monde, tout comme en 2015, mais ce n’est plus le cas et il perd du terrain à cet égard. Si les taux d’intérêt augmentent subitement comme cela s’est produit à la surprise des sénateurs — le taux directeur est passé de 2 % il y a un an et demi à 5 % aujourd’hui —, attendez de voir ce qui se passera quand il atteindra 7 ou 8 %. Quel genre d’excuses nous servira le gouvernement à ce moment-là?

Et oui, le premier ministre a menti : il a induit les Canadiens en erreur en s’engageant à équilibrer le budget au plus tard en 2019. Dans les sphères du pouvoir à Ottawa, il faut commencer à comprendre que lorsqu’on trompe les contribuables, il faut rendre des comptes et ne pas renchérir.

Dans le budget présenté il y a quelques jours, la ministre des Finances prévoit 63 milliards de dollars de nouvelles dettes. Estimez-vous que c’est financièrement responsable alors que nous sommes à la veille d’une récession?

Le sénateur Gold : Sénateur Housakos, je ne vais pas entrer dans un débat économique avec vous. J’ai eu Friedrich Hayek comme professeur avant qu’il ne devienne célèbre, et je comprends fort bien les divers points de vue.

L’actuel gouvernement estime que le budget qui vient d’être présenté est une mesure responsable. Si on sonde le pouls du milieu des affaires, autrement dit de ceux qui sont prêts à saisir l’occasion d’avoir des fonds à investir dans l’avenir de leur industrie — je parle d’investissements qui bénéficieront à nos enfants et à nos petits-enfants de façon responsable, créative et prudente — on constate que l’actuel gouvernement peut être fier de son bilan qui montre qu’il soutient les Canadiens et qu’il investit dans l’avenir.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les réfugiés et les demandeurs d’asile

L’honorable Bernadette Clement : J’ai une question à poser sur le chemin Roxham au représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold.

Sénateur Gold, des centaines de demandeurs d’asile ont été conduits par autobus du Québec à ma ville, Cornwall, en Ontario, où ils sont restés dans des hôtels et ont reçu de l’aide sous la forme de soins de santé, de cours de langue, de services d’établissement et d’éducation, entre autres. Malgré les incertitudes et le mauvais travail de communication d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, la municipalité et les organisations locales ont travaillé sans relâche pour aider et soutenir ces nouveaux arrivants, qui sont fort bienvenus dans notre collectivité.

Maintenant, la situation est encore plus incertaine. Sénateur Gold, le chef de police adjoint du service de police de Cornwall, Vince Foy, a dit à mon bureau qu’il s’attend à ce que le passage de clandestins augmente. Il y a un risque que des groupes criminels organisés exploitent des gens désespérés, qui pourraient traverser le fleuve Saint-Laurent dans des conditions dangereuses.

Je l’ai déjà dit, et je continuerai de le dire : les municipalités doivent être traitées comme des partenaires. On ne les a pas consultées et on n’a pas communiqué avec elles comme il se doit lorsque le chemin Roxham était ouvert. Maintenant que ce chemin est fermé, comment prévoit-on consulter les municipalités et les organisations locales, ainsi que collaborer avec elles? Que fera le gouvernement pour aider des villes comme Cornwall, qui doit relever de nouveaux défis comme le passage de clandestins? Que fera-t-on pour les nouveaux arrivants qui sont déjà ici?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Depuis qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a commencé à transférer des demandeurs d’asile vers Cornwall en septembre 2022, il a travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement de l’Ontario et la municipalité. Il rencontre ses partenaires toutes les deux semaines pour discuter des rôles et des responsabilités de chacun, ainsi que du transfert des demandeurs, afin de garantir la préparation opérationnelle.

Depuis le début, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a communiqué en toute transparence aux intervenants provinciaux et municipaux son plan de loger des demandeurs d’asile à Cornwall et dans d’autres villes, étant donné le grand nombre de personnes qui ont traversé la frontière au Québec. Il a transmis toute l’information disponible à toutes les étapes du processus. De plus, des représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada se sont rendus à Cornwall à la fin janvier pour discuter avec des responsables des problèmes locaux qui ont surgi à la suite du transfert des demandeurs.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est déterminé à travailler en étroite collaboration avec ses partenaires municipaux pour établir ce qui se passera lorsque les contrats actuels avec les hôtels viendront à échéance. Il maintiendra le dialogue.

Madame la sénatrice, vous avez bien raison de soulever les activités de passage de clandestins. C’est un problème mondial. Des solutions canadiennes et internationales sont donc nécessaires. À cet égard, le Canada travaille étroitement avec ses partenaires nationaux et internationaux, et le gouvernement demeure convaincu que les organismes canadiens d’application de la loi sont en mesure de collaborer pour maintenir l’intégrité de la frontière avec les États-Unis.

Les changements apportés à l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis visent à dissuader les migrants de traverser la frontière irrégulièrement entre des points d’entrée, et à réitérer que les ressortissants étrangers devraient demander l’asile dans le premier pays sûr où ils entrent, qu’il s’agisse du Canada ou des États-Unis. Maintenant que les dispositions de l’Entente sur les tiers pays sûrs s’appliquent à l’ensemble de la frontière, les gens ne peuvent plus bénéficier d’un meilleur accès au système d’octroi d’asile du Canada en traversant la frontière entre des points d’entrée.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada continuera de travailler de près avec les communautés qui s’emploient à offrir aux demandeurs d’asile un accueil rempli de compassion et de dignité, et qui doivent composer avec le fardeau, les coûts et les défis que cela suppose.

La sénatrice Clement : Abram Benedict, grand chef du Conseil des Mohawks d’Akwesasne, a informé mon bureau que les membres de sa communauté sont également préoccupés par l’évolution de la situation. Les habitants d’Akwesasne doivent passer par le point d’entrée de Cornwall, parfois plusieurs fois par jour, pour faire des affaires, aller au travail ou à l’école et se faire soigner. Il a indiqué que les longues files d’attente et le maintien d’effectifs adéquats représentent déjà un défi. Désormais, les temps d’attente devraient être encore plus longs, car de plus en plus de personnes se présentent à la frontière pour demander l’asile.

Comment le gouvernement fédéral collaborera-t-il avec des communautés comme Akwesasne pour faire en sorte que les habitants puissent voyager en toute sécurité et sans entrave? Comment pouvons-nous faire en sorte que l’Agence des services frontaliers du Canada dispose d’un personnel adéquat pour minimiser les perturbations subies par les habitants d’Akwesasne et de Cornwall?

Le sénateur Gold : Je sais que des travaux sont en cours pour préparer tous les aspects de nos institutions, les forces de l’ordre et d’autres organismes pour les jours et les mois à venir.

Je n’ai pas de réponse précise à votre question, mais on m’informe que le gouvernement a communiqué avec la communauté pour discuter de ces questions avec elle.

Les finances

Le coût du carburant

L’honorable Dennis Glen Patterson : Sénateur Gold, ce samedi, les résidents du Nunavut paieront beaucoup plus pour l’essence et le mazout parce que le gouvernement fédéral a obligé le gouvernement du Nunavut à arrêter de subventionner directement ces carburants à la pompe, un système qui a été établi après la mise en œuvre du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques en 2016. Or, à partir de samedi, le gouvernement fédéral mettra un terme à cette subvention directe à la pompe, et il a menacé d’imposer le filet de sécurité fédéral tant redouté, en vertu duquel les recettes provenant de la taxe sur le carbone au Nunavut seraient remises au gouvernement fédéral, et ce, en dépit des demandes du gouvernement du Nunavut.

(1450)

Sénateur Gold, ma question est la suivante : pourquoi le gouvernement fédéral sanctionne-t-il maintenant les propriétaires, les conducteurs et les chasseurs du Nunavut qui connaissent déjà le coût de la vie le plus élevé du pays et qui ont été durement touchés par les hausses de prix liées à l’inflation?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Je n’ai pas de réponse à vous donner, sénateur. Il faudra que je me penche sur la question afin de vous donner une réponse.

Le sénateur D. Patterson : Merci de cette réponse, sénateur Gold.

Le gouvernement fédéral a reconnu les difficultés uniques du Nunavut et le manque de solutions vertes qui font que nous sommes vulnérables aux coûts trop élevés liés à la mise en œuvre de la taxe sur le carbone. Le gouvernement nous a exemptés de devoir payer la taxe sur le combustible utilisé pour la production d’énergie et le carburant d’aviation à l’intérieur du territoire.

Voudriez-vous réclamer au gouvernement qu’il étende cette exemption à l’essence et aux combustibles de chauffage domestique? Nous ne pouvons pas revenir aux attelages de chien pour remplacer nos motoneiges ni aux igloos pour remplacer nos maisons modernes.

Le sénateur Gold : Je vais certainement transmettre ces préoccupations au gouvernement.

Le budget de 2023

L’honorable Andrew Cardozo : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement et concerne le budget déposé plus tôt cette semaine.

Les observateurs parlent d’un budget qui marque un tournant, parce qu’il prévoit un soutient important pour les technologies vertes et qu’il fait passer l’industrie canadienne à la prochaine étape, notamment dans le but de garder le rythme face aux incitatifs majeurs prévus aux États-Unis, dans l’Inflation Reduction Act, en Europe et ailleurs dans le monde. Il y a beaucoup de choses que les Canadiens peuvent faire pour soutenir cette industrie, ce qui serait profitable ici au pays, mais qui favoriserait également la compétitivité du Canada à l’international en matière de technologies vertes.

Sénateur Gold, pouvez-vous décrire ce que le gouvernement fait pour favoriser la croissance de cette industrie, créer des emplois et lutter contre les changements climatiques?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question.

L’économie mondiale subit présentement ce qu’il convient d’appeler la plus importante transformation depuis la révolution industrielle, et le Canada, en tant que chef de file mondial, ne peut se permettre de manquer le bateau. Nos amis et nos partenaires — à commencer par les États-Unis — investissent massivement pour bâtir une économie plus propre et les industries carboneutres de demain. C’est pour cette raison que les mesures contenues dans le budget mettent l’accent sur l’aide aux entreprises canadiennes qui veulent investir dans l’économie propre en leur offrant des crédits d’impôt faciles à comprendre et prévisibles pour leurs investissements, du financement stratégique à faible taux, ainsi que des investissements et des programmes conçus pour répondre aux besoins des différents secteurs et projets dont l’importance au point de vue économique est nationale, entre autres.

Comme je l’ai mentionné, il existe une série de nouveaux crédits d’impôt à l’investissement conçus pour attirer et augmenter les investissements dans l’électricité propre, les technologies propres, la fabrication et l’hydrogène propre; pour accélérer les projets déjà en cours par les entreprises et soutenus par les gouvernements dans bon nombre de nos provinces — que ce soit pour les exigences en matière de main-d’œuvre ou les crédits d’impôt à l’investissement — afin de garantir le soutien du gouvernement aux entreprises pour qu’elles puissent se développer et offrir aux travailleurs de bons salaires et des possibilités d’apprentissage. Nous investirons aussi 3 milliards de dollars sur 13 ans pour soutenir les programmes d’électricité propre. La Banque canadienne de l’infrastructure mettra l’accent sur l’électricité propre, avec des investissements d’au moins 20 milliards de dollars pour soutenir la construction de grands projets d’infrastructure d’électricité propre et de croissance propre. Pour finir, nous créerons le Fonds de croissance du Canada en partenariat avec l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public pour attirer les capitaux privés nécessaires à l’investissement dans l’économie propre du Canada.

Ces mesures sont conçues pour veiller à ce que notre pays ne prenne pas de retard par rapport à ses partenaires et au reste du monde, alors que la planète est en pleine mutation. Le budget de 2023 est la réponse du gouvernement du Canada pour aider les entreprises canadiennes et notre économie à prospérer alors que nous traversons ces changements.

Le sénateur Cardozo : Sénateur Gold, vous parlez des changements transformateurs qui se produisent au sein de l’économie en lien avec l’environnement et les changements climatiques. En même temps, l’inflation monte en flèche et on craint une récession.

Est-ce le moment d’effectuer ces investissements? Ne pourrait-on pas attendre encore quelques années, comme le soutiennent certains?

Le sénateur Gold : Le gouvernement est d’avis que c’est le moment opportun d’effectuer ces investissements. Premièrement, la planète n’attendra pas. Les changements climatiques n’attendent pas. Les marchés financiers n’attendent pas. Nos partenaires n’attendent pas et les entreprises canadiennes ne veulent pas attendre. Les travailleurs qui dépendent d’un bon emploi solide, que ce soit dans le secteur actuel de l’énergie, dans le secteur de l’agriculture ou dans un autre secteur, ont le droit d’avoir des gouvernements qui les soutiennent tandis que le monde change autour d’eux, de sorte qu’ils puissent, ainsi que leurs enfants, continuer d’avoir une expérience de travail prospère, enrichissante et valorisante.

Heureusement — et je me répète...

Le sénateur Plett : Oui, en effet.

Le sénateur Gold : Eh bien, il est important de répéter les faits pour réfuter les faussetés qui ne cessent d’être véhiculées, chers collègues.

Il se trouve que notre économie est solide et capable d’absorber ces investissements. Oui, ces derniers augmentent nos dépenses, mais ce ne sont pas des dépenses inconsidérées. Ce sont des dépenses intelligentes et ciblées. Si notre économie se porte aussi bien, c’est grâce aux dépenses et aux investissements du gouvernement actuel au cours des dernières années. C’est maintenant le moment d’investir parce que le reste du monde n’attendra pas.

Les affaires étrangères

Le coût de la délégation aux funérailles de Sa Majesté la reine Elizabeth II

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, à la surprise d’absolument personne au pays, il s’avère que le membre de la délégation canadienne aux funérailles de Sa Majesté en septembre dernier qui a séjourné dans la chambre d’hôtel à 6 000 $ la nuit était — vous l’avez deviné — Justin Trudeau. Cette information n’a été donnée à aucune des occasions où le premier ministre a été directement interrogé à ce sujet à l’autre endroit. Elle n’a pas non plus été fournie dans le cadre de la Loi sur l’accès à l’information, puisque son nom a été expurgé des factures d’hôtel publiées en février. Cette information a plutôt été communiquée au comité de la Chambre juste au moment où Air Force One atterrissait à Ottawa vendredi dernier.

Une voix : Ce sont les faits.

Le sénateur Plett : Monsieur le leader, n’est-il pas embarrassant que le premier ministre ait profité de la visite du président Biden pour dissimuler la vérité aux Canadiens?

Une voix : Bravo!

Une voix : Ce sont les faits.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La réponse est non. Le coût de la chambre dont il est question comprend plus d’une chambre, comme nos collègues le savent, car il inclut le personnel de sécurité qui a séjourné dans cet ensemble de chambres. Il s’agit du premier ministre du Canada qui a assisté aux funérailles de la reine, et il était nécessaire que le premier ministre bénéficie d’une sécurité appropriée, comme on peut très bien s’y attendre.

Comme toujours, le gouvernement s’est efforcé de veiller à ce que les dépenses liées aux voyages officiels soient responsables et transparentes.

Le sénateur Plett : Les réponses changent. On parlait d’une chambre, et on dit maintenant qu’il y en avait plusieurs. Pourquoi le premier ministre n’a-t-il pas dit, il y a plusieurs mois, qu’il avait utilisé plusieurs chambres?

Monsieur le leader, l’automne dernier, je vous ai demandé à plusieurs reprises qui avait logé dans cette chambre d’hôtel à 6 000 $ la nuit. Si le premier ministre avait répondu à la question à n’importe quel moment, il ne vous aurait pas obligé à défendre l’indéfendable, ce que vous avez encore fait plusieurs fois aujourd’hui.

Au lieu de cela, comme je vous l’ai dit il y a quelques semaines au sujet des allégations d’ingérence, personne ne parvient à obtenir une réponse claire de cet homme. On parle du gouvernement qui a déjà affirmé avoir établi des normes plus rigoureuses en matière d’ouverture et de transparence. Or, il s’est servi de la visite d’un président des États-Unis pour tenter d’enterrer cette affaire, une attitude sans doute des moins transparentes qui soient.

Monsieur le leader, hier, le gouvernement Trudeau a dit que le prix de 6 000 $ pour cette chambre comprenait les chambres du personnel de sécurité, et qu’affirmer le contraire était de la mésinformation, et il a attendu des mois avant de décider cela.

Comment peut-on avoir confiance dans cette explication, alors que le premier ministre a menti à plusieurs occasions? Comment peut-on avoir confiance dans cette explication, alors que le premier ministre aurait pu la fournir depuis le début, mais il a choisi de ne pas le faire? N’est-ce pas là de la mésinformation?

(1500)

Enfin, monsieur le Président, comme je l’ai dit hier, quand Justin Trudeau réalisera-t-il qu’il a perdu la confiance des Canadiens, se retirera-t-il et déclenchera-t-il des élections fédérales?

Une voix : Bravo!

Le sénateur Gold : La position du gouvernement est qu’il est ici pour servir les Canadiens, qu’il sert les Canadiens et qu’il continuera à les servir tant qu’il aura la confiance de la Chambre.

Le blanchiment d’argent

L’honorable Leo Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, restons concentrés sur les faits. Vous parlez de toutes les choses merveilleuses que ce gouvernement a faites pour l’économie. Il y a quelques jours, le New York Times a publié un article — écrit par nos meilleurs amis et alliés au sud — qui décernait une médaille d’or au Canada parce que le gouvernement avait accompli de grandes choses : nous sommes devenus le principal pays blanchisseur d’argent au monde. Chaque année, 40 milliards de dollars sont blanchis au Canada par des réseaux criminels, des oligarques, des organisations terroristes et divers autres amis, membres des familles et agents de régimes autoritaires qui viennent influencer nos institutions et notre pays. Au Canada, selon le New York Times, le 25 mars, nous sommes devenus des experts en « blanchiment à la neige ».

Pourriez-vous me répondre en termes simples? Quelles mesures, s’il y en a — je n’en ai certainement pas vu — le gouvernement a‑t‑il prises pour lutter contre cette terrible activité qui se déroule dans notre pays?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le blanchiment d’argent est un crime, et nous avons des lois pour lutter contre ces crimes. Les forces de police provinciales, la GRC et les procureurs généraux œuvrent dans toutes les provinces pour faire appliquer ces lois.

C’est une question sérieuse, et on a demandé à plusieurs reprises dans cette enceinte quelles mesures précises pouraient être prises, autres que les enquêtes spécifiques sur lesquelles, évidemment, aucun commentaire ne peut être, ou ne devrait être, formulé. En ce qui concerne toute autre mesure législative, je devrai me renseigner.

Ce problème demeure sérieux dans un certain nombre de secteurs, et le gouvernement, comme tous les gouvernements, s’est engagé à s’y attaquer.

Le sénateur Housakos : Vous avez tout à fait raison. Il s’agit d’un problème grave, monsieur le leader du gouvernement. La réalité, c’est que le gouvernement n’a absolument rien fait, comme je l’entends dans votre réponse.

Toutes ces opérations sont liées à l’ingérence étrangère. Je l’ai déjà dit et je le répète, le gouvernement fait preuve d’une ambivalence totale lorsqu’il s’agit d’aborder ce problème particulièrement grave.

Dans cette enceinte, nous sommes saisis des projets de loi S-237 et S-247, qui proposent la création d’un registre des entités étrangères. Nous demandons de renforcer la loi de Magnitski, de poursuivre les amis et les membres de la famille qui se livrent au blanchiment d’argent pour le compte de régimes étrangers au Canada, et le gouvernement n’a pris aucune mesure d’atténuation à ce sujet.

Recours au Règlement

Report de la décision de la présidence

L’honorable Percy E. Downe : J’ai peut-être mal entendu, mais je pense que certains propos tenus aujourd’hui ne sont pas autorisés par notre Règlement. Au fil des ans, j’ai entendu de nombreux sénateurs dire que le tapis de cette Chambre est rouge et non vert, et que cela influence le ton de nos débats.

Comme d’autres, j’ai souvent été contrarié par certaines choses, mais je pense qu’il convient au Sénat de s’imposer des normes plus élevées que celles de certaines autres assemblées législatives, provinciales ou fédérales, au Canada. Je vous demande instamment d’user de l’autorité dont vous disposez pour exiger que toute parole inappropriée que je pense avoir entendue aujourd’hui soit retirée.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, est-ce que quelqu’un d’autre souhaite faire des observations?

Sénateur Downe, je prendrai la question en délibéré et j’y reviendrai à notre retour. Merci.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Deuxième lecture—Report du vote

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Bellemare, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.

Le sénateur Harder, parrain du projet de loi, a dit il y a quelques semaines espérer que nous serions tous d’accord pour dire qu’il faut agir pour remédier aux difficultés que connaît actuellement le secteur de l’information au Canada.

Je reconnais que les médias d’information traditionnels du pays sont confrontés à des défis, puisqu’ils sont en compétition avec des plateformes et des organes de presse en ligne pour obtenir l’attention des gens et les revenus publicitaires. Certains ont plus de mal que d’autres à composer avec cette réalité, un fait dont il faudrait tenir compte dans toute étude consacrée au projet de loi.

Pourquoi certains médias réussissent-ils alors que d’autres n’y arrivent pas? L’un des aspects qui me préoccupent, dans ce projet de loi, c’est la prémisse selon laquelle tout le journalisme serait en péril au Canada. Je trouve aussi problématique qu’on suppose que ce problème requiert l’intervention du gouvernement. J’ai du mal à comprendre que, si le gouvernement met son nez dans ce dossier, nous pourrons apparemment bénéficier de médias d’information « libres et indépendants ». Ces deux idées ne vont pas vraiment ensemble.

On ne peut nier que les salles de nouvelles ayant pignon sur rue au Canada sont en train de disparaître — en particulier les éditeurs de journaux et les petits médias indépendants. Au Canada, comme dans le reste du monde, on consomme l’information différemment. On se tourne de plus en plus vers les plateformes en ligne pour accéder à du contenu, et les annonceurs suivent cette tendance. Par conséquent, les médias traditionnels sont désormais contraints de faire concurrence aux autres médias pour obtenir des recettes publicitaires sur lesquelles ils jouissaient auparavant d’un monopole. Cependant, chers collègues, s’ils n’y parviennent pas, c’est qu’il y a un problème avec leur modèle d’affaires, et non avec le journalisme dans son ensemble.

Soyons honnêtes quant aux objectifs de cette mesure législative. Il ne s’agit pas de préserver la liberté et l’indépendance de la presse, ce qui, j’en conviens, est essentiel à une démocratie saine. Il s’agit de préserver un système journalistique que nous connaissons bien, avec lequel nous sommes à l’aise, et qui a par ailleurs été très utile au gouvernement actuel.

Pour un gouvernement qui prétend soutenir l’innovation et la technologie comme aucun autre avant lui, il ne cesse de présenter des mesures législatives qui pénalisent et découragent l’innovation. En réalité, dans une démocratie solide et prospère, le gouvernement n’a rien à faire dans le secteur des nouvelles.

Lorsque le gouvernement intervient pour dicter ce qui constitue des nouvelles « de qualité » ou « professionnelles » et se met à distribuer de l’aide financière en fonction de ces critères, il n’y a plus de liberté et d’indépendance des médias d’information.

Chers collègues, il est humain de se méfier de quelqu’un dont la survie même dépend d’une autre personne ou entité. C’est pourquoi nous avons des lois et des codes sur les conflits d’intérêts. Même l’apparence d’un conflit possible doit être évitée. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit des médias d’information.

Je suis très déçu de voir le gouvernement, y compris le parrain du projet de loi au Sénat, utiliser l’argument de la lutte contre la désinformation et la mésinformation pour justifier le projet de loi, comme si seuls le gouvernement ou ses mandataires pouvaient être dignes de décider quelle information méritait d’être consommée.

C’est très dangereux, chers collègues. Pourtant, cela ne cesse de se reproduire, même après qu’on ait obligé une députée à s’excuser.

Lisa Hepfner, députée libérale et ancienne journaliste, a déclaré au cours de l’étude du projet C-18 en comité :

[...] nous entendons l’argument suivant: « [...] quelques centaines d’autres organismes de presse en ligne ont vu le jour pendant ce temps ». Sauf que ce que nous ne voyons pas, c’est qu’il ne s’agit pas d’organes de nouvelles.

Ils ne recueillent pas d’informations. Ils ne publient que des opinions.

Dans les excuses qu’elle a été obligée de présenter au sujet de ce commentaire, Mme Hepfner n’a pas pu s’empêcher de continuer à dénigrer les sites d’actualités en ligne, en laissant entendre que la plupart d’entre eux ne sont pas des sources de nouvelles fiables, mais plutôt des sources de fausses nouvelles.

Chers collègues, vous riez lorsque nous prétendons que toutes ces mesures législatives — ce projet de loi et son prédécesseur, le projet de loi C-11 — sont des tentatives de la part du gouvernement Trudeau de contrôler ce que les Canadiens regardent en ligne, mais le fait est que cet avertissement vient littéralement de l’intérieur même des Communes.

Pendant que nous sommes sur le sujet de la désinformation, parlons de la déformation totale de la manière dont les nouvelles sont partagées sur Facebook et Google et de ce que ce projet de loi est censé faire à ce sujet.

Mme Hepfner, la députée libérale — encore elle —, a décrit la situation ainsi dans un gazouillis après l’adoption du projet de loi C-18 à la Chambre. Elle a écrit que le projet de loi C-18 :

[...] fait en sorte qu’il sera plus difficile pour les grandes plateformes numériques comme Facebook et Google de voler les articles des journalistes locaux et de les republier sans leur en attribuer le mérite [...]

C’est une déformation vraiment consternante des faits et de la réalité de la part d’une députée ministérielle qui parle ad nauseam de la lutte contre la désinformation en ligne, et voilà qu’elle la perpétue.

Ces plateformes ne « volent » pas du contenu. Au contraire, elles mettent en valeur le travail des journalistes et incitent les gens à consulter les sites Web des médias traditionnels, tout comme elles mettent en valeur notre propre travail lorsque nous, les politiciens, le publions en ligne.

(1510)

Mme Hepfner donne l’impression que Facebook et Google font un copier-coller du contenu et tentent de s’en approprier le mérite. Chers collègues, c’est ridicule.

Dans le cas de Facebook, ses utilisateurs — des gens comme vous et moi — publient des liens vers des articles de nouvelles qui vous redirigent vers leur site Web d’origine, qu’il s’agisse de CTV News, de Radio-Canada, de Western Standard ou de n’importe quel autre média du genre.

La même chose vaut pour Google, que l’on consulte Google News, un agrégateur identifiant clairement la source de l’article et fournissant un lien direct vers son site d’origine, ou que l’on interroge le moteur de recherche Google, dont les résultats mènent directement au site d’origine de l’article du journaliste.

Il n’y a aucun vol de contenu ni omission de nommer adéquatement la source, c’est-à-dire l’auteur de l’article et le média l’ayant initialement publié. Accuser les plateformes de vol serait comme si un restaurant accusait un chauffeur de taxi de voler ses clients lorsqu’il les dépose à sa porte. C’est ridicule.

Oui, ces plateformes en ligne ont trouvé un moyen de tirer profit du travail d’autrui; et en retour, étant donné que les recettes publicitaires sont, dans l’ensemble, limitées, cela diminue les profits des médias. Cela ne fait aucun doute.

Cependant, poursuivons l’analogie du chauffeur de taxi et du restaurant. Un couple veut aller au restaurant. Les deux personnes veulent prendre quelques verres avec le souper, alors elles ne doivent pas conduire; elles prennent le taxi. Elles n’ont qu’un budget précis à dépenser ce soir-là, alors elles savent qu’elles devront déduire le prix du taxi de la somme qu’elles avaient prévu dépenser au restaurant. C’est logique.

Le propriétaire du restaurant va-t-il dire au chauffeur de taxi qu’il lui doit une portion du prix du trajet? Non, il est heureux de pouvoir exploiter son entreprise, surtout dans le monde d’aujourd’hui, où les services de livraison d’aliments grugent la clientèle qui mange dans les salles à manger.

En passant, ces mêmes restaurants doivent s’adapter, en raison des services de livraison d’aliments, à de nouvelles technologies et de nouvelles façons de recevoir des commandes. C’est la même chose pour les médias des nouvelles, qui devront s’adapter au monde numérique — et certains se sont adaptés.

D’ailleurs, personne n’oblige les médias d’information à rendre leur contenu disponible en ligne pour être partagé sur des plateformes comme Facebook ou Google. Ils choisissent de publier le contenu eux-mêmes et d’encourager les autres à le partager en mettant les petites icônes de partage sous chaque article. Ils savent qu’ils ont tout à gagner à ce que leur contenu soit partagé. Dans le cas de Google, les médias font en sorte que leur contenu apparaisse dans une recherche Google en activant leur flux RSS. Ils pourraient simplement ne pas activer ce flux, et, lors du partage sur d’autres plateformes, ils pourraient proposer leur contenu via un accès payant. Un abonnement numérique n’est pas différent d’un abonnement payant. Il est difficile d’accuser quelqu’un de voler quelque chose qui est offert gratuitement.

Récemment, Google a mené ce qu’il a appelé un test au Canada en cessant de fournir des liens vers les actualités canadiennes pour moins de 4 % de la population canadienne, selon ses dires. Les représentants du gouvernement se sont mis à accuser l’entreprise de « voler » et de « bloquer » du contenu.

Je reviens à mon analogie avec le restaurant. C’est comme si le chauffeur de taxi disait : « D’accord, je ne veux pas être accusé de voler vos clients, alors je n’amènerai plus personne dans votre restaurant. » Et le gérant du restaurant lui reprocherait alors d’empêcher les clients de venir dans son établissement.

Chers collègues, le ridicule de la situation n’est-il pas évident?

En outre, ce n’est tout simplement pas vrai. Durant le test mené par Google, pas un Canadien ne s’est vu dans l’impossibilité d’accéder au site de nouvelles de son choix, pas un. Ce n’est pas ainsi que fonctionne Internet.

Je ne cherche pas à défendre les grandes entreprises technologiques, même si on m’accusera certainement de le faire. Je veux juste rapporter les faits et parler franchement de la situation telle qu’elle est.

Le gouvernement répand des faussetés, alors qu’il prétend vouloir lutter contre la mésinformation. De même, il se livre aux mêmes tactiques d’intimidation qu’il accuse Alphabet et Meta, les sociétés mères de Google et de Facebook, d’employer.

C’est ainsi que le gouvernement Trudeau a réagi au récent test effectué par Google et à la déclaration de Meta, qui a clairement indiqué que si elle est forcée de payer chaque fois qu’un de ses membres partage un lien vers un article au Canada, elle mettra fin complètement à cette pratique. Ces sociétés nous diront simplement de ne plus utiliser leur plateforme et de nous servir d’un autre moteur de recherche. Personne ne force un journaliste à utiliser Google ou n’importe quelle autre plateforme. C’est gratuit. C’est un choix. C’est ce qu’on appelle la liberté.

Ces deux sociétés se livrent à une bonne vieille partie de bras de fer avec le gouvernement. Elles le mettent au pied du mur, et il n’est pas étonnant que le gouvernement n’y réagisse pas bien.

Cependant, la réaction du gouvernement n’est pas pour autant justifiée. Pour ceux qui ne le savent peut-être pas, l’entreprise Google a été convoquée pour expliquer sa décision récente de mener un test. Le député Chris Bittle ne s’est pas contenté d’intimider le témoin de Google — il semble que le député soit devenu un virtuose en la matière —, mais il est allé jusqu’à affirmer qu’il faudrait peut-être consulter le légiste sur les recours possibles parce qu’il n’était tout simplement pas satisfait des réponses données par le témoin.

Le gouvernement a utilisé ce comité parlementaire pour exiger la production de la correspondance de tiers, de ces deux entreprises, au sujet d’un projet de loi qui n’est plus à l’étude à la Chambre.

Il est question de correspondance entre ces entités et de simples citoyens qui s’opposent à ce projet de loi du gouvernement, et le gouvernement exige qu’elle lui soit remise.

C’est toute une histoire de chasse aux sorcières. Quelle est cette façon d’intimider et de forcer la main des témoins par inadvertance? Quel est l’objectif? À quoi cela peut-il servir? C’est sans parler du culot du gouvernement, qui exige de la part d’autrui un degré de transparence qu’il s’acharne à ne pas manifester lui-même.

C’est le genre de manœuvres d’intimidation auxquelles on s’attendrait de la part de Pékin, de Téhéran, de La Havane ou même de la mafia. Ce n’est pas digne d’une société libre et démocratique.

Le même député s’est livré à ce genre d’intimidation de témoins pendant l’étude du projet de loi C-11 à la Chambre et au Sénat.

Je sais qu’il est facile de diaboliser les plateformes en ligne, en particulier Alphabet et Meta, les sociétés mères de Google et Facebook. Cela a certainement été le cas dans cette enceinte et en comité au cours des derniers mois, mais cela dépasse les bornes.

Chers collègues, je comprends le réflexe d’aider les rédactions en difficulté, en particulier celles qui sont de petite taille, indépendantes et locales. Le gouvernement a assurément joué sur ce sentiment.

En vérité, ce projet de loi ne redonnera pas vie à des journaux en difficulté ni à des journaux émergents ou ethniques. En fait, la majeure partie de l’argent recueilli dans le cadre de cette mesure ira aux grands radiodiffuseurs, y compris à ma très chère société subventionnée : CBC/Radio-Canada.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais le directeur parlementaire du budget, un mandataire indépendant du Parlement. Selon une analyse réalisée par le directeur parlementaire du budget, les journaux et les médias d’information en ligne recevraient moins d’un quart des fonds recueillis auprès de Facebook et de Google.

Ce sont CBC/Radio-Canada, Bell, Shaw et Rogers, nos très chers géants des télécommunications, qui gagneraient 248 millions de dollars grâce à ce projet, tandis que les journaux et les petits médias en ligne indépendants et ethniques devraient se battre pour obtenir les 81 millions de dollars restants. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le directeur parlementaire du budget.

Comment se fait-il que CBC/Radio-Canada soit même admissible à ce financement? Cette société jouit déjà d’un avantage sur tous les autres médias parce qu’on lui permet de soutenir la concurrence pour les recettes publicitaires alors qu’elle reçoit déjà du gouvernement un financement à hauteur de 1,4 milliard de dollars par année. Allons-nous maintenant lui donner un autre coup de pouce en lui permettant de prendre une part de ce nouveau financement?

Si nous souhaitons aider les petits médias indépendants, il faut cesser de les forcer à faire concurrence à CBC/Radio-Canada. Si cette mesure législative est adoptée, CBC/Radio-Canada ne devrait pas avoir droit aux sommes tirées de ses productions. Advenant le cas, chaque dollar qu’elle reçoit devrait être déduit du financement que lui verse le gouvernement.

En conclusion, je reviens sur ce que le sénateur Harder a dit au sujet des salles de nouvelles. Il a affirmé qu’elles font le gros du travail et qu’il faut les soutenir et les rémunérer équitablement.

À Ottawa, peu de médias d’information, s’il en est, ont davantage dénoncé le gaspillage et la corruption en matière d’éthique de l’actuel gouvernement que le média en ligne Blacklock’s. Il s’agit de l’un des médias dont j’ai parlé plus tôt. Son modèle d’affaires est axé sur un accès payant, notamment des frais d’abonnement.

Or, le gouvernement Trudeau est engagé depuis des années dans une bataille juridique contre Blacklock’s parce que les ministères et les agences du gouvernement continuent de partager le contenu publié sur Balcklock’s sans payer les frais d’abonnement. Voilà pourquoi la bataille juridique dure depuis des années.

Réfléchissons à cela. Le gouvernement nous dit que nous devons soutenir le journalisme libre et ouvert et que ces journalistes doivent être rémunérés de manière équitable pour leur travail. L’intention est noble, mais pendant ce temps, en contournant ouvertement le verrou d’accès payant de Blacklock’s, le gouvernement porte carrément atteinte au droit d’auteur. Dans les faits, il vole du contenu, et c’est bel et bien du langage parlementaire. Si quelqu’un prend indûment quelque chose qui ne lui appartient pas, sans payer, c’est du vol.

Par conséquent, le gouvernement a beaucoup de culot de tenir ce discours à l’égard de ce projet de loi. Il se justifie sans doute en se disant que Blacklock’s n’est pas ce qu’il considère comme une organisation « professionnelle » qui fournit du contenu journalistique « de qualité ». C’est parce que Blacklock’s émet des critiques. C’est donc dire que ceux qui émettent des critiques ne sont pas professionnels, disent des faussetés et n’offrent pas du contenu de qualité. Voyez-vous un parallèle? Je pense qu’il dira cela de toute organisation qui émet des critiques sévères à son endroit. Même le contenu du Globe and Mail peut être valable ou non, selon la nature de la nouvelle.

Honorables collègues, voilà précisément pourquoi le gouvernement et les politiciens ne devraient absolument pas se mêler des affaires du milieu journalistique.

Le sénateur Plett : Bravo!

Le sénateur Housakos : Je vous remercie, honorables collègues, et il me tarde d’étudier ce projet de loi au comité.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Votre temps est écoulé. Demandez-vous plus de temps, sénateur Housakos?

(1520)

Le sénateur Housakos : Oui, volontiers.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, accordez-vous une prolongation de cinq minutes?

Des voix : D’accord.

L’honorable Frances Lankin : Merci, sénateur Housakos, d’avoir exposé votre point de vue. Je voudrais, dans ma question, mettre de côté le sujet de CBC/Radio-Canada parce que je pense qu’il y a beaucoup d’autres points de débat qui entrent en ligne de compte, et que les divergences d’opinions qu’ont certains d’entre nous dans cette enceinte ne seront pas résolues par l’étude du projet de loi dont nous sommes saisis.

Pendant de nombreuses années, j’ai été présidente du Conseil de presse de l’Ontario, puis j’ai été la première présidente du Conseil national des médias du Canada. D’après mon expérience, tout journal qui avance des arguments critiques, qu’il s’agisse des positions d’un parti politique ou d’autre chose, est accusé de publier de « fausses nouvelles ». J’ai également entendu cette affirmation de la part des sénateurs d’en face à maintes reprises.

Voici ce que j’aimerais vous entendre expliquer. Les petits journaux locaux, sur lesquels comptent beaucoup d’entre nous dans les zones rurales de l’Ontario et dans tout le Canada, ont été largement réduits au silence et ils ne disposent ni des ressources ni du personnel nécessaires pour faire du journalisme d’enquête local. Ils dépendent de la Presse canadienne et d’autres sources d’informations.

Votre proposition n’indique pas comment régler le problème. Une partie des 81 millions de dollars, c’est sans doute mieux que rien. Pourriez-vous nous dire quelle serait la solution, s’il vous plaît?

Le sénateur Housakos : Sénatrice Lankin, comme vous le savez, mon discours est une critique du projet de loi. Il ne m’incombe pas de trouver toutes les solutions. Cependant, je crois fermement — et c’est pourquoi je m’oppose au projet de loi — que l’objectif est honorable. Nous essayons d’aider les médias d’information, surtout les médias écrits, qui sont en difficulté au Canada. Nous avons tous grandi avec eux. Ce sont des outils d’apprentissage. Ils sont fondamentaux pour notre démocratie. Vous avez tout à fait raison : certains sont plus à gauche et d’autres plus à droite et c’est normal. Cela ne me pose aucun problème. Je l’encourage, car cela fait partie du processus démocratique.

Toutefois, même dans le monde numérique d’aujourd’hui, certains d’entre eux connaissent beaucoup de succès. Il ne l’appréciera peut-être pas, mais je vais prendre l’exemple du Globe and Mail. Le journal s’est rapidement adapté aux nouvelles réalités du monde numérique. Le monde numérique offre une occasion unique. C’est un porte-voix pour promouvoir notre travail et il l’a offert aux journalistes, aux artistes et aux politiciens. Je pense que nous devrions saisir cette occasion et apprendre à l’utiliser efficacement. Le Globe and Mail utilise un système d’abonnement depuis plusieurs années. Il a autant de succès aujourd’hui qu’il n’en a jamais eu dans le passé.

Un autre média, en l’occurrence le National Post — et dans ce cas-ci aussi, la direction n’appréciera peut-être pas — ne s’est pas adapté à la réalité numérique aussi rapidement et nous avons vu ses salles de nouvelles partout au Canada souffrir de ce retard. Je ne choisis pas l’un ou l’autre; ce sont deux excellents exemples de journaux nationaux importants. L’un deux tire vraiment son épingle du jeu dans la sphère numérique alors que l’autre non.

Il en est de même des hebdomadaires locaux. Dans mon quartier, à une certaine époque, il y en avait six. Maintenant, il y en a trois qui tirent le diable par la queue, deux qui se portent très bien et un qui, malheureusement, a fait faillite.

On constate maintenant que la noble tentative du gouvernement de dépenser des centaines de millions de dollars chaque année pour soutenir ces médias — pour repousser l’échéance — n’a pas fonctionné. Les médias qui prospèrent s’en tirent bien parce qu’ils se sont adaptés. Dans le cas de ceux qui battent de l’aile, tout l’argent du monde ne suffirait pas à les sauver.

Mes 20 années d’expérience en affaires m’ont appris une chose : si une entreprise adopte un modèle d’affaires qui n’est pas adaptable à la réalité économique du jour, elle ne réussira pas même si le gouvernement lui donne tout l’argent du monde.

Je n’ai pas de solution toute prête. J’espère que les discussions dans les comités sénatoriaux seront musclées et intenses — Dieu merci, il y a des discussions de ce genre dans les réunions des comités du Sénat — et que, si possible, nous trouverons des amendements décents et réfléchis qui aideront cette industrie qui, de l’avis de tous, doit prospérer.

Malheureusement, à mon avis, il n’est question ici que de faire les poches à certaines plateformes numériques qui ne produisent pas de contenu. Ce ne sont que des plateformes où on peut placer du contenu. Nous allons prendre leur argent pour soutenir une industrie qui ne s’est pas adaptée à cette nouvelle réalité. Il y a eu des gagnants et des perdants. Je crois qu’il faudrait laisser le marché s’adapter.

En passant, Google négocie avec les organes de presse depuis des années. L’entreprise s’est entendue avec des journaux et avec différentes organisations. Le Globe and Mail est un exemple, n’est‑ce pas? Il a conclu une entente.

Tout ce que je dis, encore une fois, c’est qu’il faut laisser les acteurs du marché trouver des solutions ensemble en favorisant un climat propice.

[Français]

L’honorable René Cormier : Vous aimez les faits tout comme moi, sénateur Housakos.

Selon les données recueillies par thinktv, les revenus de publicité des médias communautaires sont passés de 1 milliard à 400 millions de dollars entre 2012 et 2021. Les données de thinktv font aussi état de l’augmentation écrasante des revenus de publicité des médias sociaux et des plateformes de recherche.

Sénateur Housakos, n’êtes-vous pas d’accord pour dire que ce projet de loi aidera à rétablir un certain équilibre au bénéfice des médias d’information canadiens, dont les médias d’information communautaires qui sont indispensables à la couverture des nouvelles locales?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, le temps est écoulé.

[Traduction]

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

L’objectif du projet de loi est de réglementer ce qu’il appelle les « intermédiaires de nouvelles numériques afin de renforcer l’équité sur le marché canadien des nouvelles numériques ». L’« équité » est le mot que le gouvernement emploie le plus souvent relativement au projet de loi. Le gouvernement soutient que la réglementation des intermédiaires de nouvelles numériques est nécessaire pour que le marché canadien de nouvelles numériques perdure.

Pour réaliser l’objectif proposé, le projet de loi propose de nombreuses mesures. Il crée un cadre au sein duquel les exploitants d’intermédiaires de nouvelles numériques — les plateformes en ligne — et les entreprises de nouvelles peuvent conclure des accords concernant le contenu de nouvelles fourni par les intermédiaires de nouvelles numériques. Il accorde au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, le pouvoir de tenir une liste des intermédiaires de nouvelles numériques. Il permet aussi de soustraire à l’application du texte du projet de loi les intermédiaires qui ont conclu des accords avec des entreprises de nouvelles. Encore une fois, il s’agit d’entreprises de nouvelles qui remplissent certains critères en matière d’équité, sur lesquels le CRTC tranchera lui-même.

Le projet de loi permet au gouvernement d’établir des règlements sur la manière dont le CRTC doit interpréter ces critères. Le projet de loi établit un processus de négociation entre les entreprises et les intermédiaires de nouvelles numériques que le CRTC supervisera. Il permet aux entreprises de se plaindre au CRTC de la manière dont les intermédiaires de nouvelles numériques se comportent. Enfin, bien entendu, le projet de loi autorise le CRTC à imposer des sanctions et des conditions à la participation des sociétés de presse au processus de négociation en cas d’infraction à la loi.

Le projet de loi établit également un mécanisme de recouvrement, auprès des exploitants d’intermédiaires de nouvelles numériques, des coûts liés à l’administration de la loi.

Chers collègues, ce projet de loi a pour effet d’insérer le CRTC dans une autre dimension du fonctionnement d’Internet et de la diffusion des 30 dernières années. Cette fois-ci, le CRTC s’ingérera dans la manière dont les Canadiens obtiennent leurs nouvelles et dans le choix de ceux qui tireront profit de la consommation des nouvelles.

Le Sénat a récemment examiné le projet de loi C-11. De nombreux témoins, y compris d’anciens présidents et commissaires du CRTC — des personnes qui possèdent des connaissances et une expérience considérables — nous ont fait part de la capacité limitée du CRTC à assumer les nouveaux rôles envisagés pour celui-ci dans le cadre du projet de loi C-11.

Le gouvernement propose maintenant, dans le cadre du projet de loi C-18, d’élargir le rôle du CRTC et de lui confier plus de pouvoir en ce qui concerne la négociation d’ententes de partage des revenus entre les plateformes en ligne et les entreprises de nouvelles. Le projet de loi C-18 imposerait un conseil à toutes les parties. Ce conseil, qui serait évidemment nommé par le gouvernement, assumerait la fonction d’arbitrage prévue dans le projet de loi C-18. Il n’est pas vraiment étonnant que beaucoup de gens se demandent comment un tel conseil pourrait avoir la crédibilité requise pour trancher parmi des points de vue très divergents d’une manière que toutes les parties jugeront légitime.

Le manque de légitimité représente selon moi une faille importante du projet de loi, puisqu’il propose de confier au CRTC un pouvoir considérable sur des éléments qui touchent directement au gagne-pain de multiples organes de nouvelles — souvent de petite taille — et à celui des plateformes.

Le CRTC aura aussi un rôle à jouer quant à la façon dont les consommateurs, ou la population canadienne, auront accès à l’information et la consommeront. Je crains que le gouvernement confie au CRTC une tâche d’une telle difficulté qu’il finisse par miner involontairement la légitimité du CRTC. Ce n’est évidemment pas l’intention du gouvernement mais, comme toujours lorsqu’une idée bien intentionnée est mal ficelée, c’est ce qui pourrait arriver.

Bien que le gouvernement répète avoir mené de vastes consultations au sujet du projet de loi, il n’y a actuellement aucun consensus clair qui laisserait supposer que toutes les parties accepteront la légitimité du CRTC.

(1530)

Je voudrais me concentrer aujourd’hui sur ce que je considère comme certains des problèmes fondamentaux des concepts qui sous-tendent le projet de loi.

Le premier problème concerne l’objectif ultime du projet de loi. Lorsque j’écoute les justifications du gouvernement pour ce projet de loi, j’entends beaucoup d’expressions et de phrases à la mode.

Le ministre Rodriguez a déclaré que le projet de loi est important pour protéger une presse libre et indépendante. Il affirme que le projet de loi vise à garantir que les Canadiens ont accès à des informations fondées sur des faits. Il a également déclaré qu’il vise à renforcer notre démocratie. Il affirme que le projet de loi permettra de construire un écosystème de nouvelles plus équitable.

Nous entendons souvent ces mots — « écosystème de nouvelles » et « équité » — de la part des porte-parole du gouvernement. Il n’est pas étonnant que le sénateur Harder ait répété ces mêmes thèmes lorsqu’il a prononcé son discours sur le projet de loi au Sénat. Utilisant les mêmes mots que le ministre, le sénateur Harder a déclaré :

Le projet de loi C-18 vise à créer un écosystème de nouvelles qui favorise la création de contenu de nouvelles de grande qualité et reflète la variété des voix et des histoires du Canada.

Il dit que le projet de loi propose « un cadre législatif et réglementaire souple et moderne qui favorise l’équité sur le marché ». Encore une fois, il utilise le mot « équité ».

Si j’ai bien compté, le sénateur Harder a prononcé les mots « équitable », « équité » et des synonymes plus de 20 fois pendant son discours sur le projet de loi. Il a dit qu’il était important que le gouvernement assure la tenue de « négociations équitables » par l’entremise du CRTC. Il a dit que le gouvernement devait veiller à ce que tout le monde obtienne sa « juste part ». Il a dit que les entreprises de nouvelles devaient obtenir une « rémunération équitable ».

Le discours du sénateur Harder a beaucoup porté sur l’« équité ». Le ministre est lui aussi un adepte du mantra de l’équité.

J’évolue dans le monde de la politique depuis longtemps. On m’excusera de faire preuve d’un peu de cynisme. Lorsqu’un politicien utilise aussi souvent un mot comme « équité », les gens font bien de vérifier s’ils ont toujours leur portefeuille.

C’est une question d’argent, en fait. Cela ne devrait surprendre personne si je dis que l’objectif principal de ce projet de loi, c’est de déterminer qui a accès aux revenus générés par la publicité en ligne. L’accès à ces revenus, voilà l’objectif réel de ce projet de loi.

Grâce à cette mesure législative, le gouvernement propose de créer un système selon lequel les plateformes numériques devront payer les entreprises de nouvelles pour pouvoir publier des liens donnant accès aux nouvelles qu’elles produisent. Le sénateur Harder défend la position du gouvernement en disant que le modèle d’affaires des plateformes numériques consiste à accumuler des milliards de dollars en revenus publicitaires en publiant ces liens. Il affirme ensuite qu’elles ne versent aucune part de ces revenus publicitaires aux créateurs des nouvelles.

Bien entendu, les plateformes ne voient pas les choses de la même manière. Selon elles, le projet de loi les obligera à payer les éditeurs simplement pour héberger des liens vers leurs sites Web et pour attirer davantage de visiteurs vers ces sites. En fait, elles considèrent qu’il s’agit en réalité d’une taxe qui leur est imposée pour afficher, sur leur plateforme, un lien vers un site d’information.

Que l’on partage le point de vue du gouvernement ou celui des plateformes, il ne fait aucun doute qu’avec le projet de loi C-18, le gouvernement s’est rangé du côté des médias d’information traditionnels.

Le gouvernement soutient que les raisons de cette décision sont justifiées par les conséquences dévastatrices de la révolution d’Internet sur les médias d’information traditionnels. Le ministre Rodriguez a lui-même fait référence à l’hypothèse selon laquelle, depuis 2010, environ un tiers des emplois du secteur journalistique au Canada ont disparu et que les chaînes de télévision, les stations de radio et les journaux canadiens enregistrent un manque à gagner d’environ 4,9 milliards de dollars, bien que les recettes de la publicité en ligne aient augmenté.

Le projet de loi vise en grande partie à essayer de faire marche arrière et de contrer les effets négatifs indéniables de l’avènement d’Internet sur les radiodiffuseurs traditionnels.

Dans un récent article, Sue Gardner, professeure invitée à l’École de politiques publiques Max Bell en 2021-2022, a comparé cette démarche à celle d’un gouvernement qui, il y a 100 ans, aurait exigé des constructeurs automobiles qu’ils versent en permanence des indemnités aux entreprises qui fabriquaient jusqu’alors des fouets de cocher.

Ces fabricants de fouets de cocher suivaient le modèle d’entreprise des fabricants de fouets de cocher depuis des siècles. Puis, l’automobile a fait son apparition, et les fabricants de fouets de cocher ont soudainement vu leurs profits diminuer nettement. L’intervention du gouvernement est peut-être logique pour les fabricants de fouets de cocher, mais est-elle logique pour la société dans son ensemble?

Je ne veux pas minimiser les difficultés que connaissent actuellement les médias d’information traditionnels. Je sais que les pertes d’emploi sont nombreuses. Je le constate dans ma propre province, Terre-Neuve-et-Labrador. Cela dit, je crois sincèrement que nous devons nous demander si une intervention gouvernementale musclée pour aider un modèle d’entreprise désuet est réellement logique.

Si c’est bien là ce que nous faisons, alors les arguments tels que « faire en sorte que les négociations soient équitables » et « faire en sorte que chacun obtienne sa juste part du gâteau » ne sont en fait qu’une façade. En l’occurrence, la véritable raison d’être du projet de loi est de justifier l’intervention du gouvernement, intervention qui consiste à rediriger le flux des revenus par l’intermédiaire du CRTC.

Cela m’amène au discours trompeur que tient le gouvernement au sujet de ce projet de loi, c’est-à-dire l’argument selon lequel il est essentiel pour notre démocratie de maintenir l’ancienne façon de faire les choses.

À ce propos, dans ses observations sur le projet de loi C-18, le sénateur Harder a fait valoir que les radiodiffuseurs d’information traditionnels assurent des services essentiels au Canada. Le sénateur a dit qu’« une presse libre et indépendante est l’une des assises nécessaires pour soutenir une société sûre, prospère et démocratique ». Je suis convaincu que tous les sénateurs s’entendent sur la validité de cette prémisse.

Il a également laissé entendre que ce sont en grande partie les radiodiffuseurs traditionnels qui fournissent aux Canadiens des informations justes et impartiales. Le sénateur Harder a laissé entendre qu’à moins que le gouvernement ne soutienne les radiodiffuseurs traditionnels, nous assisterons à une prolifération de la mésinformation et de la désinformation. Plus précisément, il a déclaré :

Nous avons vu comment la diffusion de mésinformation et de désinformation dans le monde peut nuire aux sociétés. Des médias rigoureux qui posent des questions constituent l’un des antidotes les plus efficaces à ces problèmes.

Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je pense qu’il est faux de prétendre que les médias traditionnels sont en quelque sorte notre antidote à la mésinformation. Tout le monde dans cette salle a été témoin des excès des médias traditionnels qui se produisent chaque fois que des questions brûlantes apparaissent soudain en haut de l’affiche. Ils tombent dans le piège de la pensée unique. Tout d’un coup, l’ensemble de la presse parlementaire rapporte la même histoire de la même manière. Personne ne veut être perçu comme marginal. Le journalisme d’investigation a disparu.

Lorsque cela se produit — et c’est trop souvent le cas —, rares sont les médias grand public qui nagent à contre-courant. Lorsque le phénomène est à son paroxysme, les médias posent rarement des questions sérieuses qui pourraient suggérer que quelqu’un a peut‑être tort. Comme je viens de le dire, le journalisme d’investigation a disparu.

Suggérer que l’intervention du gouvernerment, par l’entremise du projet de loi C-18, est essentielle pour assurer la viabilité des médias grand public et les rendre plus aptes, comme l’a dit le sénateur Harder, « à exiger des comptes [des] dirigeants » met l’accent complètement au mauvais endroit. Les médias traditionnels ne sont pas les gardiens de la vérité objective.

Je pense que bon nombre de Canadiens voient les choses sous le même angle que moi. Quand on examine les habitudes des Canadiens en matière de consommation de nouvelles, on constate une perte de confiance envers les services de radiodiffusion traditionnels. Par exemple, à peine plus de 300 000 personnes regardent, en moyenne, le bulletin de nouvelles de l’heure du souper de CBC. C’est moins de 1 % de la population canadienne. Je suis sûr que bon nombre de sénateurs d’en face regardent religieusement CBC. De ce côté-ci, je suis peut-être le seul, mais je regarde cette chaîne la plupart du temps. Je la regarde moi aussi de temps en temps. À Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons de bons souvenirs de ce que CBC représentait et des services qu’elle offrait, plus particulièrement aux collectivités rurales à l’échelle de notre province, surtout dans la région du Labrador.

Cependant, l’opinion publique à son égard est en train de changer. Même si la députée libérale Lisa Hepfner affirme que les organismes de presse en ligne ne sont pas des organes de nouvelles, de toute évidence, la plupart des Canadiens ne sont pas de cet avis. Les Canadiens cherchent une diversité plus grande et réelle dans leurs nouvelles. Je crois que c’est confirmé par le peu de personnes qui regardent en général les bulletins de nouvelles traditionnels, destinés au grand public.

CTV News a environ quatre fois plus de téléspectateurs que CBC, mais il demeure qu’elle attire moins de 4 % des Canadiens la plupart des soirs. Cette situation s’explique probablement en grande partie par l’accès à une plus grande variété de sources d’information alternatives. Il ne faut toutefois pas oublier le scepticisme que certains entretiennent envers ce qui est rapporté par les grands médias.

(1540)

Avec tout le respect que je dois à mon collègue le sénateur Harder et au gouvernement, pour vraiment lutter contre la désinformation, je crois que le meilleur remède à la pensée unique dans les médias est la célébration de la diversité des sources d’information. À mon avis, la diversité d’opinions qui découle de la révolution Internet est un bien meilleur remède à la désinformation que les outils prévus dans des projets de loi comme celui dont nous sommes saisis.

Il ne fait aucun doute que la diversité d’opinions sur Internet risque simultanément d’accroître la diffusion de la désinformation. Toutefois, pour le consommateur d’information éclairé et critique, ce ne devrait pas être un danger. La société devrait encourager la pensée critique et la consommation raisonnée de différentes sources d’information. Nous ne devrions pas présumer qu’une intervention accrue de l’État pour donner du pouvoir à certains médias plutôt qu’à d’autres est la solution à nos problèmes. Or, je crains que, derrière les messages d’équité et de lutte à la désinformation, ce soit exactement ce que propose le projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi doit faire l’objet d’un examen en profondeur par le comité avant que nous puissions l’adopter.

Je n’ai parlé que de quelques-uns des problèmes et des préoccupations que j’ai concernant le projet. Il y en a d’autres. Notamment, qu’arrivera-t-il si les plateformes refusent simplement de se conformer à la loi? Qu’arrivera-t-il si elles retirent tous les liens vers les sources de nouvelles canadiennes? Est-ce que cela pourrait arriver? Y a-t-il d’autres conséquences négatives que le gouvernement choisit simplement d’ignorer? Nous savons que les États-Unis ont de nouveau affirmé, comme ils l’avaient fait au sujet du projet de loi C-11, que l’adoption du projet de loi à l’étude entraînera des conséquences commerciales. Encore une fois, le gouvernement semble faire fi de ces préoccupations.

Comme dans le cas du projet de loi C-11, que nous avons étudié, le projet de loi C-18 est complexe et ses répercussions se feront sentir sur plusieurs fronts. J’espère que les sénateurs considèrent comme moi que le comité qui sera appelé à étudier ce projet de loi devra recevoir des témoins des deux camps afin de bien comprendre les incidences potentielles.

Je crois que cela est essentiel, parce que, une fois de plus, à la Chambre des communes, le gouvernement a coupé court aux témoignages dans le but de faire adopter le projet de loi le plus rapidement possible. Cela n’a pas été une solution heureuse pour le projet de loi C-11, et je doute fortement que ce le soit pour le projet de loi C-18.

Il ne faut pas perdre de vue le caractère paradoxal de ce que fait le gouvernement, alors même que le sénateur Harder nous dit à quel point le projet de loi est important pour la démocratie. Comme c’était le cas avec le projet de loi C-11, le Sénat peut — et doit — veiller à ce que les témoins qui ont été empêchés de comparaître à la Chambre soient entendus au Sénat. Personnellement, je doute que le projet de loi soit utile en ce moment pour le Canada. Je suis préoccupé par les implications de certains de ses articles, mais je suis prêt à écouter les témoins de tous les points de vue sur cette question.

Je partage les préoccupations d’un grand nombre de personnes concernant l’accès des petites collectivités et des collectivités éloignées à des nouvelles locales de qualité. Je crains que le projet de loi C-18 ne soit pas la solution à ce problème, mais qu’il crée tant d’autres problèmes que la prétendue solution ne vaille pas la peine. Cependant, comme je l’ai dit, je veux entendre de nombreux témoins, de tous les points de vue, et j’espère que les sénateurs d’en face seront aussi prêts à le faire. Merci.

[Français]

L’honorable René Cormier : Le sénateur Manning accepterait-il de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Manning : Certainement.

[Français]

Le sénateur Cormier : Dans votre province, vous savez certainement qu’il y a un journal francophone qui s’appelle Le Gaboteur, qui est le seul journal d’expression française de toute la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

À l’image des autres médias qui œuvrent dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, ce journal joue un rôle d’information très important.

Sénateur Manning, croyez-vous que le comité qui étudiera le projet de loi C-18 devrait accorder une attention particulière à l’impact de cette loi sur les médias des communautés de langue officielle en situation minoritaire, et possiblement bonifier ce projet de loi, afin que les médias comme Le Gaboteur puissent bénéficier des accords qui seront conclus sous le régime de cette loi?

[Traduction]

Le sénateur Manning : Merci, sénateur Cormier. Je n’ai pas saisi les derniers mots, mais je crois avoir compris l’essentiel de votre question.

Je crois que cela ne fait aucun doute. Je vis dans une petite collectivité rurale de Terre-Neuve-et-Labrador, et je suis très préoccupé par les effets que toute mesure législative pourrait avoir sur ces petites publications. Lors de l’étude en comité, j’espère que nous allons entendre l’avis d’éditeurs comme ceux que vous avez mentionnés pour qu’ils nous disent quelle incidence Internet a eue sur leurs activités jusqu’à présent, et qu’ils nous disent ensuite ce qu’ils pensent du projet de loi C-18. J’ai déjà eu l’occasion de consulter nombre de petites, moyennes et grandes entreprises du milieu de l’édition de l’ensemble du pays au sujet du projet de loi C-18, et comme toujours, les avis sont divergents. Nous travaillons au comité depuis un certain temps, et nous avons eu l’occasion d’entendre toutes sortes de points de vue.

En ce qui concerne la Chambre, je crains que l’on coupe court au débat et qu’on passe à autre chose. Pour ce qui est du Sénat, que j’approuve ou non ce qu’on fait d’un projet de loi comme le projet de loi C-11, je conviens à tout le moins que nous devrions prendre le temps d’écouter les autres, d’écouter les personnes concernées, et peut-être d’améliorer le projet de loi ou de proposer des amendements, s’il y a lieu, mais nous devrions au moins veiller à ce que les petits joueurs ne se fassent pas avaler.

L’honorable Andrew Cardozo : Merci de votre discours, sénateur Manning. Je l’ai trouvé très intéressant. En écoutant vos critiques, j’ai trouvé votre foi totale en la pureté du monde en ligne plutôt charmante, mais elle est dépassée depuis cinq ou sept ans, monsieur. Comme vous, je suis impatient d’entendre de nombreux points de vue en comité.

Je veux lire deux lignes d’un rapport publié hier. À l’occasion de cette publication, certains députés de l’autre endroit ont organisé une séance à laquelle plusieurs sénateurs ont assisté. Le député James Bezan faisait partie des personnes qui se sont exprimées en faveur du rapport. Je vais citer deux phrases brièvement :

De la désinformation russe ciblant les Canadiens a été relayée par plus de 200 000 comptes sur Twitter. Ces réseaux faisaient partie des communautés politiques en ligne les plus prolifiques et les plus influentes au Canada.

C’est donc dire que ces communautés contrôlées par les Russes sont plus influentes que tous les journaux du Canada imaginables. C’est là qu’on se dirige et c’est là que les choses se passent.

Je trouve très troublant votre point de vue selon lequel les représentants nommés par le gouvernement ne sont pas légitimes. En effet, si nous devions renvoyer tous les représentants nommés par le gouvernement, cela inclurait chacun d’entre nous dans cette enceinte, ainsi que tous les juges, tous les responsables de la réglementation, tous les chefs de police et de services d’incendie. Il n’y aurait plus d’ordre public. Nous avons un système dans lequel les gouvernements démocratiquement élus nomment divers fonctionnaires et nous leur faisons confiance.

Ma question est la suivante : partagez-vous mes réserves selon lesquelles nous devrions peut-être au moins faire confiance à certains des représentants nommés par le gouvernement ou pensez‑vous qu’ils devraient tous être démis de leurs fonctions parce qu’ils ne sont pas légitimes?

Le sénateur Manning : Merci, sénateur, de votre question. Tout d’abord, ma confiance envers le monde en ligne et les médias sociaux est très limitée. J’ai d’ailleurs fait le choix d’être absent des médias sociaux, peut-être parce que je suis trop opiniâtre ou Dieu sait quoi, mais je garde mes opinions pour moi la plupart du temps.

En ce qui concerne les représentants nommés par le gouvernement — et j’ai occupé différents postes —, je n’approuve pas nécessairement toutes les nominations et je suis convaincu que c’est votre cas aussi. L’éventail d’opinions que nous avons reçues sur le projet de loi C-11 me préoccupe; de nombreuses personnes qui ont témoigné devant le comité étaient préoccupées par le fait que nous allions donner au CRTC le pouvoir de réglementer, d’organiser et de décider qui seront les gagnants et les perdants de ce marché. Cela m’inquiète et cela inquiète les témoins que nous avons entendus au sujet du projet de loi C-11.

Nous devons essayer de rendre les choses — encore une fois, j’ai parlé de l’utilisation du mot « équité » — aussi ouvertes et transparentes que possible. On entend aussi beaucoup de choses à ce sujet. Je pense que nous devons au moins essayer d’être aussi ouverts et transparents que possible à l’égard du projet de loi pour que les personnes les plus touchées voient que les choses sont équitables. Voilà que je parle encore d’équité. Le choix des mots est important et ce mot est très important pour les intervenants de l’industrie.

C’est pourquoi j’ai hâte que le comité commence son étude. Je crois, depuis que je suis ici — et je suis sûr que vous constaterez la même chose au fur et à mesure de votre expérience —, que c’est en comité que le travail se fait. C’est en comité que nous nous renseignons, que nous découvrons ce que les gens des quatre coins du pays pensent d’une mesure législative, ainsi que les améliorations et les amendements qu’ils proposent. Il nous appartient ensuite de suivre leurs conseils ou de rester les bras croisés. Toutefois, nous avons au moins un choix.

(1550)

Le sénateur Cardozo : Je souhaite simplement remercier le sénateur Manning. C’est la première fois que je participe à l’étude d’un projet de loi du début à la fin. Comme vous, j’ai hâte d’entendre la diversité des opinions sur ce projet de loi, et je suis sûr que vous et moi partageons ce point de vue. Nous attendons avec impatience ces audiences.

L’honorable Leo Housakos : Ma question fait suite aux questions du sénateur Cardozo.

Sénateur Manning, comme vous le savez, le sénateur Cardozo fait le parallèle entre nous, les sénateurs, et les représentants du gouvernement. Nous ne sommes pas des représentants du gouvernement — nous sommes des parlementaires, tout d’abord. Notre rôle est de demander des comptes aux représentants du gouvernement, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC, et au gouvernement.

Dans votre discours, vous avez beaucoup parlé d’équité et de petits joueurs, tout comme le sénateur Cormier quand il a posé sa question. Un examen du Fonds des médias du Canada, nous permet de voir les sommes octroyées à CBC/Radio-Canada. En plus des 1,4 milliard de dollars, nous permettons à ce gros joueur de prendre — je ne dirai pas de voler — l’argent de la publicité à ses concurrents sur le marché. Or le gouvernement prétend également vouloir créer un système juste et équitable et aider les petits acteurs. Le CRTC — cette instance de contrôle — a approuvé l’achat de Shaw par Rogers. C’est un géant qui achète un autre géant. Qu’en pensez...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Pourriez-vous poser votre question, je vous prie?

Le sénateur Housakos : J’y arrive. Il est parfois utile de donner des exemples. Comment le gouvernement peut-il affirmer avoir les intérêts des petits joueurs à cœur alors que nous prenons des mesures pour empêcher qu’il y ait une concurrence accrue et plus féroce sur le marché? Je pense, par exemple, à l’achat de Shaw par Rogers.

Le sénateur Manning : Je vous remercie. Au début, je ne savais pas avec certitude si vous répondiez à la question du sénateur Cardozo ou si vous me posiez une question. En fait, vous faisiez un peu les deux. Je ne voudrais pas semer la confusion dans votre esprit.

Bref, beaucoup d’aspects de notre monde sont en pleine évolution. C’est notamment le cas des médias. Je me souviens que, quand j’étais jeune, nous avions accès à un seul poste, CBC/Radio‑Canada, dans notre localité; et quand il faisait mauvais, il fallait grimper sur le toit et replacer les oreilles de lapin pour que la télévision offre une bonne image au lieu d’un écran enneigé. L’accès aux médias est maintenant à portée de main. Dans notre intérêt à tous, il faut trouver une façon de réglementer ce phénomène et, dans l’intérêt des Canadiens, il faut trouver la meilleure façon de le faire. Voilà comment il convient d’aborder les projets de loi, selon moi. On ne peut pas opter pour des solutions superficielles. Il faut tenter d’examiner l’ensemble du problème, de trouver des solutions et d’arriver à une mesure législative qui répondra aux préoccupations de tous les acteurs.

Je sais que les petits joueurs du secteur des médias connaissent des difficultés au Canada. Je n’ai pas besoin d’aller plus loin que Terre-Neuve-et-Labrador pour le voir. J’ai rencontré certaines des personnes concernées. Elles sont préoccupées par le projet de loi, mais aussi par leur avenir, et bon nombre ont dû fermer boutique. Nous devons essayer de trouver le moyen de les protéger, tout en protégeant la liberté des médias.

Ce que j’ai dit plus tôt au sujet du comité est que nous pouvons en parler dans cette enceinte et sur la place publique, mais c’est en comité que le travail s’effectue. C’est au comité que nous entendons les témoins. C’est là que nous nous instruisons et, nous l’espérons, c’est grâce à ce processus que nous pourrons en arriver à un projet de loi qui réponde aux préoccupations que nous partageons tous.

L’honorable Donna Dasko : Le sénateur Manning accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Manning : Oui.

La sénatrice Dasko : Excellente entrée en matière. Je vous remercie de vos commentaires, sénateur Manning. Que répondez-vous au fait que les trois principales sources de nouvelles pour les Canadiens qui n’ont pas Internet sont les mêmes que pour les Canadiens qui consultent les nouvelles en ligne? Ce qui s’est passé, en fait, c’est que les revenus qui allaient à la presse écrite vont maintenant aux plateformes que les Canadiens consultent en ligne. Essentiellement, les Canadiens sont toujours intéressés par ce que nous appelons les médias traditionnels et lisent ce qu’ils produisent, mais ils le font de plus en plus en ligne, et ces médias ne reçoivent rien en retour.

Je me demande ce que vous répondez à cela. Ce n’est pas comme si les Canadiens abandonnaient les médias traditionnels. Bien entendu, en ligne, ils peuvent avoir accès à de nombreuses autres sources, mais ils consultent toujours les mêmes sources de nouvelles en ligne.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Pouvez-vous poser votre question, s’il vous plaît?

La sénatrice Dasko : Je demande au sénateur Manning ce qu’il a à dire à ce sujet. Ce n’est pas comme si les médias traditionnels disparaissaient de la vie des Canadiens. Je veux simplement une réponse. Merci.

Le sénateur Manning : Merci, sénatrice Dasko. Comme je l’ai dit dans mes commentaires, il est vrai que tout revient à l’argent — à l’endroit où l’argent est investi. Nous investissons beaucoup d’argent dans les médias traditionnels. Nous allons en ligne. Il y a des possibilités des deux côtés.

Revenons au projet de loi C-11. Nous avons entendu de nombreuses personnes opposer les médias en ligne et les médias traditionnels hors ligne. Je pense, encore une fois, qu’à mesure que le temps passe, le nombre de personnes qui écoutent les médias traditionnels, tels que nous les comprenons, est en baisse, et ce, dans tous les domaines. Il y a de petits journaux dans tout le pays — des centaines de journaux — qui ont cessé leurs activités. Il semble que la couverture médiatique — donc la possibilité de consommer des médias — est de plus en plus réduite. Par conséquent, je pense que nous devons au moins trouver un moyen de nous assurer que les petites collectivités ont la possibilité de faire de la publicité pour ce qu’elles ont à offrir et de raconter l’histoire des petites régions rurales du Canada. Je pense que c’est dans ce créneau que certaines parties de ce projet de loi, je l’espère, trouveront leur place.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénateur Harder, avec l’appui de l’honorable sénatrice Bellemare, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice Seidman : Le vote est reporté à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Conformément à l’article 9-10(2) du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30, à la prochaine séance du Sénat, et la sonnerie retentira à 17 h 15.

Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Audette, appuyée par l’honorable sénatrice Mégie, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

L’honorable Margaret Dawn Anderson : Honorables sénateurs, je prends la parole au Sénat aujourd’hui au sujet du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation. Je reconnais que nous sommes réunis ici aujourd’hui sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.

Selon le site Web du gouvernement du Canada :

La réconciliation oriente les actions de la Couronne en regard des droits ancestraux ou issus de traités et étaye les relations élargies de la Couronne avec les peuples autochtones. L’approche du gouvernement du Canada à l’égard de la réconciliation est guidée par la Déclaration des Nations Unies, les appels à l’action de la CVR, la Constitution et la collaboration avec les peuples autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Veuillez garder ce principe à l’esprit tout au long de mon discours et lui accorder la crédibilité et la validité qu’il mérite en ce qui concerne le projet de loi C-29.

Selon l’honorable Murray Sinclair :

Le chemin que nous parcourons est tout aussi important que notre destination. On ne peut pas prendre de raccourci. Lorsqu’on cherche la vérité et la réconciliation, il faut passer par toutes les étapes.

Étant donné ce contexte, il est essentiel d’examiner le chemin parcouru jusqu’au projet de loi C-29 et sa destination. Le 21 septembre 2022, l’honorable Marc Miller, ministre des Relations Couronne-Autochtones, a déclaré dans son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi :

J’aimerais prendre le temps de rappeler la genèse de ce projet de loi. Le chemin parcouru pour arriver jusqu’ici a nécessité de la collaboration et beaucoup de travail. Le projet de loi C-29 est en gestation depuis de nombreuses années.

Comment en sommes-nous donc arrivés là?

(1600)

Le 14 décembre 2017, Carolyn Bennett, alors ministre des Relations Couronne-Autochtones, a annoncé la nomination de six membres au conseil d’administration provisoire du Conseil national de réconciliation, et a déclaré :

Au cours des six prochains mois, les membres du conseil consulteront divers intervenants en vue de recommander des modèles possibles pour la mise sur pied du Conseil national de réconciliation et la dotation de la fiducie de la réconciliation nationale.

Le 11 avril 2018, une réunion de consultation organisée à Ottawa a rassemblé 23 participants et 6 membres du conseil provisoire, ce qui a débouché sur la rédaction d’un résumé de neuf pages. Le 12 juin 2018, un rapport final a été présenté à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Ce rapport recommandait notamment la création d’un comité de transition pour le Conseil.

Trois ans plus tard, le 18 janvier 2021, l’honorable Marc Miller a annoncé la création d’un comité de transition dirigé par des Autochtones et composé de cinq membres, chargé de collaborer avec divers groupes ainsi qu’avec les provinces et les territoires sur le cadre législatif du Conseil national de réconciliation, et de formuler des conseils et des recommandations à l’intention du ministre.

Le 22 juin 2022, le projet de loi C-29 a été déposé à la Chambre des communes. Le 6 octobre 2022, devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, le ministre Miller a déclaré :

Le comité de transition, reconnaissant l’urgence ressentie par de nombreux survivants des pensionnats et leurs familles et reconnaissant l’engagement de la Commission de vérité et réconciliation et du Conseil intérimaire, a adopté une approche ciblée de mobilisation. En mars 2022, il a organisé un événement avec des experts techniques autochtones et non autochtones pour discuter des considérations clés qui pourraient être incluses dans la législation, comme le partage d’information.

J’avais demandé de l’information et j’ai moi-même fait des recherches au sujet des réunions et des consultations tenues après juin 2018. À 10 heures, ce matin, mon bureau a reçu la transcription d’une lettre envoyée au ministre Miller par le comité de transition du Conseil national de réconciliation et datée du 15 mars 2022. Dans cette lettre, je vous prie de le noter, on peut lire ceci :

Nos recommandations sont fondées sur les discussions approfondies que le comité a tenues, sur une séance de mobilisation ciblée réunissant des experts techniques et sur le rapport final du conseil d’administration intérimaire publié en 2018.

Je peux affirmer que les experts techniques en question sont neuf personnes possédant une expertise juridique ou financière ou une connaissance du domaine des données. C’est donc dire que 32 personnes ont été ciblées pour les consultations au sujet du projet de loi C-29 de 2018 à 2022 — n’oubliez pas, neuf de ces personnes étaient des experts techniques. En comparaison, il y a 1,8 million d’Autochtones au Canada et plus de 630 bandes des Premières Nations. Rien n’indique que des consultations significatives ont eu lieu auprès des Inuits, des Premières Nations ou des Métis ni auprès des différents groupes, des provinces et des territoires au sujet du cadre législatif relatif au Conseil national de réconciliation.

Cette affirmation semble être corroborée par CBC News dans un article daté du 6 février 2023 :

Le gouvernement canadien affirme qu’il n’est pas en mesure de dresser la liste des communautés autochtones qui ont participé à l’élaboration du projet de loi sur la constitution d’un conseil national de réconciliation, car une telle liste n’existe pas.

L’article cite également le député Jaime Battiste qui déclare que « [...] les communautés et les organisations autochtones seront amenées à participer plus largement si le projet de loi est adopté ».

Dans l’ensemble, cette situation est très déconcertante et troublante. Le Sénat est maintenant saisi du projet de loi C-29, après que celui-ci ait franchi l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes, malgré l’absence de consultation documentée auprès des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et ce, pendant quatre ans, entre avril 2018 et la présentation du projet de loi à la Chambre des communes en juin 2022. Le projet de loi C-29 est une question d’intérêt national découlant des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Cela devrait être de notoriété publique.

Dans un article du 17 octobre 2022, la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, a exprimé son inquiétude concernant le projet de loi C-29 et le fait que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord soit responsable de la nomination de la majorité des administrateurs du conseil d’administration du Conseil national de réconciliation. Elle a fait remarquer que cela était contraire à l’esprit et à l’intention de la réconciliation et que cette façon de faire était très paternaliste.

Le 1er  décembre 2022, l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou l’ITK, a retiré son appui au projet de loi C-29, en soulignant que l’adoption de celui-ci pourrait nuire à l’établissement de rapports de nation à nation entre les Inuits et le gouvernement fédéral. Le président de l’ITK, Natan Obed, a dit que l’organisation croyait que cette mesure législative pourrait être nuisible.

Dans le cadre de mes discussions avec l’ITK, il est devenu évident que le projet de loi C-29 n’était pas le fruit d’une collaboration, et qu’il n’avait pas fait l’objet de véritables consultations. Les Inuits n’ont pas pris part à la rédaction du projet de loi. Ils n’y ont également pas eu accès avant sa présentation à la Chambre des communes. J’ai entendu les mêmes doléances lors de mes rencontres avec la Société régionale inuvialuite, le Conseil tribal des Gwich’in et la Nation métisse de la Saskatchewan, ainsi qu’avec le grand chef Jackson Lafferty, le chef Clifford Daniels de Behchokǫ, la cheffe de Gamètì Doreen Arrowmaker et le chef des Whatì Alfonz Nitsiza, tous de la nation des Tlichos.

Non seulement aucun d’entre eux n’a pris part aux consultations sur le projet de loi C-29, ni à sa rédaction, à l’exception des Inuits, mais aucune des organisations autochtones ne savait que le projet de loi avait été présenté à la Chambre des communes, où il avait été adopté à l’étape de la troisième lecture, ni que le Sénat du Canada en était actuellement saisi.

Le grand chef Kyikavichik a affirmé ceci :

Bien que le Conseil tribal des Gwich’in soutienne l’objectif général de la création d’un conseil national pour la réconciliation et comprenne l’importance de le faire en temps opportun, cela doit être fait d’une manière réfléchie, stratégique et inclusive. Le gouvernement ne doit pas y voir une occasion de simplement cocher une case sur son engagement à répondre à l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et de précipiter l’adoption d’un important projet de loi.

Selon Glen McCallum, président de Métis Nation — Saskatchewan :

Le Canada prétend créer un organisme qui parle au nom des Métis alors que cet organisme n’est pas responsable devant nos processus décisionnels et n’est pas sélectionné par ceux-ci, ce qui le rend illégitime au bout du compte et sape notre position en tant que gouvernement des Métis de la Saskatchewan.

Étant donné le rôle des Inuits, des Premières Nations et des Métis, on se doit de souligner que le Canada compte 25 traités modernes : quatre ententes distinctes sur l’autonomie gouvernementale, deux ententes sectorielles en matière d’éducation et une entente sur la gouvernance conclue entre les Autochtones et les gouvernements de six provinces et des trois territoires, couvrant plus de 40 % du territoire canadien. La question d’un traité moderne est en partie à l’origine des préoccupations des Inuits à l’égard du projet de loi C-29 — et de celles des autres détenteurs de droits au Canada.

Les Inuits ont quatre accords de revendications territoriales : la région désignée des Inuvialuit, le Nunavut, le Nunavik et le Nunatsiavut.

En 2017, les Inuits se sont engagés à participer à un Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, ou CPIC, avec le gouvernement du Canada. La Politique sur l’Inuit Nunangat reconnaît l’Inuit Nunangat — ou le territoire inuit — comme région géographique, culturelle et politique distincte. L’un des objectifs clés du CPIC est de faire avancer la réconciliation, de renforcer le partenariat entre les Inuits et la Couronne et de favoriser la prospérité de l’Inuit Nunangat au moyen d’une collaboration constructive. Cela dit, en vertu de quatre accords distincts sur les revendications territoriales et, collectivement, du partenariat établi par le CPIC avec le Canada depuis 2017, les Inuits ont des droits et des obligations protégés par la Constitution et des contrats existants avec la Couronne fédérale.

Le gouvernement du Canada a 12 principes relatifs à l’approche fédérale de la mise en œuvre des traités modernes. Bien qu’ils fassent tous partie intégrante de l’approche, je vais me concentrer sur deux principes qui soulignent l’importance de véritables engagements et consultations, surtout en ce qui concerne le projet de loi C-29 :

Le deuxième principe indique que les traités modernes sont des outils de réconciliation :

La Cour suprême du Canada a écrit que les traités servent à réconcilier l’occupation antérieure de l’Amérique du Nord par les Autochtones et l’affirmation de la souveraineté de la Couronne. Les droits découlant des traités sont reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les traités établissent un cadre convenu par toutes les parties et à long terme pour la réconciliation et l’établissement de relations continues entre la Couronne et les Autochtones.

La réconciliation encadre les actions de la Couronne en ce qui a trait aux droits prévus à l’article 35 et alimente la relation plus vaste entre la Couronne et les Autochtones. L’approche du Canada en matière de réconciliation se fonde sur les principes juridiques énoncés par les tribunaux, ainsi que sur une négociation et un dialogue avec les Autochtones et avec les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Le dixième principe dit : « Tous les ministères et les organismes fédéraux doivent s’acquitter de leurs fonctions d’une façon qui est conforme aux obligations du Canada qui découlent de traités modernes. »

Les ministères et les organismes fédéraux doivent s’acquitter de toutes les fonctions liées à leur mandat, y compris en ce qui a trait à l’élaboration et à l’exécution de programmes, à la prestation de services, et à l’élaboration de politiques et de lois, d’une manière qui est conforme aux obligations découlant des traités modernes et à l’évolution du cadre juridique.

(1610)

Le préambule du projet de loi C-29 dit :

Attendu [...] que le gouvernement du Canada s’est engagé à mener à bien la réconciliation avec les peuples autochtones grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne qui reposent sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat [...]

Pourtant, le projet de loi C-29 ne dit rien sur son rôle et ses éventuelles répercussions sur les traités historiques et modernes au Canada, et ce, malgré la reconnaissance de ces droits et leur affirmation à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, malgré le fait que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a reçu la sanction royale, malgré le fait que le Canada affirme que la réconciliation encadre les actions de la Couronne concernant les droits ancestraux et issus de traités des Autochtones et malgré le fait qu’il soutient que son approche à l’égard de la réconciliation est guidée par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, par les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, par les valeurs constitutionnelles et par la collaboration avec les Autochtones.

L’appel à l’action no 5 de la Commission de vérité et réconciliation dit :

Nous demandons au Parlement du Canada d’adopter, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, des dispositions législatives visant à mettre sur pied un conseil national de réconciliation.

Au lieu de cela, le projet de loi C-29 n’est le fruit d’aucune consultation ni d’aucune collaboration avec les peuples autochtones. Plutôt, il est le résultat de la consultation de 32 personnes ciblées et du travail précipité du Comité de transition du Conseil national de réconciliation et du gouvernement du Canada.

J’ai passé beaucoup de temps à examiner et à tenter de comprendre le projet de loi C-29, ses origines et son cheminement, à en discuter ainsi qu’à faire des recherches à leur sujet.

En tant que sénatrice inuk qui a un sens aigu de l’histoire inuite et des mesures législatives qui ont eu et qui continuent d’avoir des répercussions non seulement sur les Inuits, mais également sur tous les peuples autochtones au Canada, je peux dire que le projet de loi C-29 est vexatoire. Ce qui me préoccupe, ce sont les principes fondamentaux qui ont mené à la rédaction du projet de loi C-29, en plus de la décision de ne pas mener de consultations dignes de ce nom auprès des Inuits, des Premières Nations et des Métis, et de ne pas mobiliser les provinces et les territoires. Il relève de la négligence qu’un tel projet de loi sur la réconciliation appuyé par le Canada soit étudié par le Sénat et qu’il fasse carrément fi des principes fondamentaux de l’élaboration d’une mesure législative touchant tous les peuples autochtones. Nous devrions tous nous en inquiéter.

En tant que parlementaires, nous avons le devoir de mener des études, de poser des questions et de procéder à un second examen objectif pour garantir que, lorsque nous nous penchons sur un projet de loi qui découle des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation en plus d’avoir des répercussions sur les peuples autochtones, nous ne répétons pas les torts historiques du Canada sous le couvert de la réconciliation.

Je vous exhorte tous à revoir le projet de loi C-29. Si j’appuie la réconciliation et le travail de la Commission de vérité et réconciliation, je ne soutiens pas le projet de loi C-29.

Quyanainni.. Mahsi’cho. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, le temps de parole est écoulé. Cependant, sénatrice Anderson, trois sénateurs semblent avoir des questions à vous poser. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Anderson : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vous demanderais d’être brève.

L’honorable Frances Lankin : Pourquoi est-ce toujours moi que vous mettez en garde? Ma réputation me précède.

Merci, sénatrice Anderson. Avec un certain nombre de collègues de notre groupe, j’ai eu l’occasion cette semaine de rencontrer un membre du comité de transition, Mike DeGagné, ainsi que des représentants du Ralliement national des Métis. D’autres réunions sont aussi prévues.

Mike DeGagné, qui est membre des Premières Nations, a notamment parlé de la représentation du travail en cours auprès de l’Inuit Tapiriit Kanatami, du Ralliement national des Métis et des Premières Nations, et de l’importance pour eux de jouer un rôle dans la conception de la consultation. Il a également indiqué qu’il s’agissait d’un projet de loi visant à permettre la construction de la maison, mais que la vue de la maison, la structure de la maison et les fondations de la maison doivent être éclairées par une vaste consultation approfondie avec la collectivité. C’est l’approche du cadre.

Parfois, c’est vraiment difficile pour nous — l’approche du cadre —, et on le constate pour d’autres projets de loi, parce que la consultation reste à venir et que l’engagement de la consultation est là...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Venez-en à votre question.

La sénatrice Lankin : Faites-vous une distinction entre le projet de loi, qui établit que nous allons construire la maison, et la consultation qui suivra? Cela vous rassure-t-il?

La sénatrice Anderson : Lorsque les ministres Bennett et Miller ont pris la parole et ont nommé le conseil, ils ont exprimé très clairement qu’ils allaient mener des consultations. Ils ont tous deux été très clairs sur le fait que des consultations seraient menées auprès des groupes autochtones ainsi que des provinces et des territoires.

À mon avis, ce projet de loi n’a pas de fondement. Le fondement d’un projet de loi ne vient pas après son adoption. Ce moment est passé.

Je tiens également à souligner que les valeurs qui sous-tendent une consultation significative — la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — ne sont pas dans le projet de loi, mais dans le préambule. Elles ne sont pas juridiquement contraignantes, ce qui devrait nous préoccuper. L’importance des langues autochtones est un exemple clair de ces valeurs. Pourtant, dans le projet de loi, les deux langues sont le français et l’anglais.

L’honorable Scott Tannas : Nous avons déjà vu ce genre de situation auparavant. Il semble extrêmement paradoxal que nous voyions cela de nouveau dans ce projet de loi en particulier.

Sénatrice Anderson, je me demande si, d’après vous, nous devrions voter contre ce projet de loi ou l’adopter pour le renvoyer à un comité et demander au comité de prendre en considération ce qu’on a fait dans le cas du projet de loi S-3, à l’égard duquel nous avons demandé au gouvernement de faire la consultation nécessaire avant d’aller de l’avant, ce qui nous permettrait d’attendre que les choses soient faites comme il faut avant d’aller plus loin dans l’étude du projet de loi.

Serait-ce une solution envisageable, ou préféreriez-vous que nous rejetions tout simplement le projet de loi tout de suite et que nous retournions à la planche à dessin?

La sénatrice Anderson : Je ne pense pas être la mieux placée pour répondre à la question, car j’ai ma propre opinion sur ce qu’on devrait faire de ce projet de loi. Cependant, je crois que d’autres personnes devraient revoir ce projet de loi en tenant compte des informations que j’ai pu trouver et de celles que je n’ai pas pu trouver, et elles sont nombreuses. Ajoutons à cela que je n’ai reçu une partie de ces informations que ce matin, à 10 heures, ce qui est préoccupant, puisque c’est sur ces données qu’on devait se fonder pour élaborer ce projet de loi qui a été présenté à la Chambre en juin 2022.

La sénatrice Moncion : J’ai une brève question. Le projet de loi peut-il être corrigé?

La sénatrice Anderson : Selon mes recherches, le seul moyen de corriger le projet de loi est de revenir au début. D’une certaine façon, les gens qui devaient contribuer à l’élaboration du projet de loi ne faisaient pas partie intégrante de celui-ci. Ils ont été consultés après coup, et il n’y a pas eu de véritables consultations. En tant qu’Autochtone qui prend la parole au sujet d’un projet de loi sur la réconciliation, je ne comprends pas que le projet de loi ait pu manquer à cette obligation.

(Sur la motion du sénateur Brazeau, le débat est ajourné.)

[Français]

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 29 mars 2023, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 18 avril 2023, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(1620)

[Traduction]

Projet de loi sur la protection des pensions

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Martin, au nom de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénateur Housakos, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, j’aimerais intervenir brièvement, avec une certaine appréhension, en faveur du projet de loi C-228, qui est parrainé par le sénateur Wells et critiqué de façon amicale par le sénateur Yussuff.

Plus tôt cet après-midi, un collègue que je ne nommerai pas pour l’instant a souligné le risque associé à l’utilisation du mot « équité » dans nos discours. J’ai rapidement parcouru le mien, et je constate que ce mot y revient à cinq occasions. En toute équité, je vous préviens que je n’ai pas encore eu le temps de les enlever.

Je vais limiter mes remarques à des déclarations de principe sur le projet de loi C-228 et sur un sujet connexe.

J’aimerais commencer en disant simplement qu’à mon avis, ce qui est au cœur de ce projet de loi, c’est la valeur, le respect et l’équilibre que nous accordons aux contributions respectives des capitaux et de la main-d’œuvre pour une entreprise. Mais avant, j’aimerais vous faire part de ce que je considère être une métaphore de ce thème.

Vendredi dernier, j’ai eu l’honneur d’assister au discours présenté par le président Biden à l’autre endroit, ainsi qu’à l’excellent discours du Président Furey lui rendant hommage, ainsi qu’au Sénat et à chacun d’entre nous. Je tiens à le souligner.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Cotter : Mon histoire commence dans la dernière rangée, là où les sénateurs étaient assis à l’autre endroit. Sept d’entre nous étaient plus ou moins à l’arrière. Un des sénateurs — dont je ne peux pas dire le nom, même si je peux dire que j’étais assis juste derrière un éminent psychiatre de la Nouvelle-Écosse —, qui voulait sans doute rendre hommage au sénateur Wells pour avoir parrainé un projet de loi d’initiative parlementaire sur les paris sur une seule épreuve sportive, a proposé que nous fassions un pari sur la durée du discours du président Biden. Si je me souviens bien, nous avons tous parié 1 million de dollars, et nous avons demandé au membre le plus digne de confiance de notre petit groupe de sept, la sénatrice Clement, de conserver l’argent. Pour vous donner une idée du climat de confiance qui régnait, nous avons insisté pour que deux sénateurs plutôt qu’un s’occupent du chronométrage afin d’assurer l’intégrité du processus. Il s’en est fallu de peu, mais c’est le sénateur Loffreda qui a remporté le pari.

En y réfléchissant bien, je me suis dit qu’il s’agissait d’une métaphore de la vie, surtout dans ce contexte. Sans vouloir offenser le sénateur Loffreda, la morale de cette histoire, c’est que la banque gagne toujours.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Cotter : Pour revenir plus sérieusement à mes observations, le problème de l’équilibre entre les capitaux et la main-d’œuvre dans les entreprises et leur contribution à une société productive est difficile à résoudre lorsque les entreprises font faillite et qu’il n’y a pas suffisamment d’actifs pour dédommager les différents contributeurs des entreprises.

Notre façon de répondre à cette question est largement articulée par les forces du marché, modérée de temps à autre par les lois afin de garantir certaines formes d’équité, si j’ose dire, sur la base de nos valeurs. La tension dans cette conversation se situe essentiellement entre le respect que nous accordons aux contributions en capital d’une entreprise et celui que nous accordons aux contributions des travailleurs.

Je ne suis pas opposé à ce que ceux qui investissent du capital cherchent à protéger leurs investissements. En effet, une grande partie de ce dont nous avons besoin dans notre société est le soutien que le capital apporte et qui ne serait pas accessible autrement, mais les forces du marché, sans modération, favoriseront toujours la priorisation du capital par rapport à la main-d’œuvre. Le meilleur exemple, clairement pertinent ici, est la manière dont les investissements en capital sont couramment titrisés. En comparaison, les contributions versées par les travailleurs ne bénéficient presque jamais du même niveau de sécurité.

Je suis soulagé que le sénateur Wells soit présent, ce qui me permet de l’appeler par son nom, dans un sens positif.

Cela a d’énormes conséquences dans le contexte de l’insolvabilité et des faillites, et voici la façon la plus simple de l’expliquer. J’ai un ami qui, après l’université, est déménagé à Vancouver. Il tenait à acheter un voilier. Il avait un bon emploi, mais peu d’argent. Il m’a décrit son acquisition de la manière suivante : « La Banque Royale est maintenant la fière propriétaire d’un autre voilier. »

Ce qu’il voulait dire — et j’ai fini par le comprendre —, c’est que la banque avait pris une garantie sur le voilier, une part dans celui-ci. Dans le cas d’insolvabilité et de faillites, cela signifie que les actifs soumis à ces garanties, comme les hypothèques et d’autres types de réclamations, ne sont pas, considérés légalement comme les actifs de l’entreprise, mais comme ceux du prêteur garanti selon l’ampleur de l’endettement de l’entreprise et dans les limites prévues par la loi quant aux garanties. Cette façon de procéder ne laisse, dans bien des cas, rien, ou bien peu, aux autres créanciers qui ne disposaient pas d’une position dominante leur permettant de protéger leurs intérêts à l’aide de garanties. Le manque à gagner dans les cotisations patronales aux pensions en est un exemple. On peut utiliser des mesures législatives pour tempérer une situation où une position dominante crée ce que la société considère généralement, dans ce type de circonstances, comme une forme d’injustice économique.

C’est ce que fait ce projet de loi. Selon le régime législatif actuel, les cotisations de retraite des travailleurs et les promesses contractuelles des employeurs de contribuer aux retraites des travailleurs ont été sacrifiées lorsque les actifs de l’entreprise en faillite étaient insuffisants pour couvrir le déficit de solvabilité du régime de pension parce que, légalement, ces actifs appartenaient aux créanciers garantis. Les sénateurs Wells et Yussuff ont évoqué les conséquences pour les travailleurs qui comptaient légitimement sur les pensions de retraite de leur employeur pour leurs vieux jours, avant de découvrir et de subir les conséquences des déficits de solvabilité non compensés. Ce projet de loi dénonce cette répartition socialement injuste des actifs de l’entreprise en faillite.

Un autre argument convaincant repose sur la distribution du risque. Ceux qui investissent du capital ont accès à divers mécanismes pour se prémunir contre le risque. Le risque peut être inclus dans le prix; il peut être distribué; il peut être refinancé. Par contraste, même si les travailleurs songent à l’importance de protéger la valeur de leur pension, ils n’ont pas accès à de telles options. Pour ces raisons, je trouve très convaincante l’idée d’instaurer une superpriorité pour les cas où un régime à prestations déterminées est insolvable. Tout en étant conscient qu’un tel changement pourrait entraîner des conséquences indirectes, je remercie la marraine du projet de loi à l’autre endroit — la députée Marilyn Gladu —, l’ensemble des députés, le parrain du projet de loi au Sénat, le porte-parole et, je l’espère, l’ensemble des sénateurs d’appuyer ce rééquilibrage. Je salue ceux qui se sont longtemps battus pour arriver à ce résultat alors que, dans bien des cas, ils ne luttaient pas pour eux-mêmes, mais bien pour les travailleurs d’aujourd’hui et de demain.

Passons brièvement à mon deuxième sujet, le même équilibre sociétal et le même risque existent pour la quasi-totalité des travailleurs salariés de notre société dans un autre contexte. J’aimerais que vous réfléchissiez à la question suivante : combien d’entre vous sont créanciers du gouvernement du Canada? Vous vous demandez probablement ce qui suit : quand mes dépenses de la semaine ou du mois dernier me seront-elles remboursées? À quel point votre pension du gouvernement est-elle bonne? J’aimerais toutefois vous donner un exemple qui vous touche d’un peu plus près. Vous pouvez répondre par l’affirmative à toutes ces questions, mais il n’en demeure pas moins que pendant 29 ou 30 jours chaque mois, vous êtes un créancier du gouvernement du Canada puisque vous attendez votre salaire à la fin du mois. Nous ne sommes payés qu’à la fin du mois. Pratiquement aucun d’entre nous n’a eu le courage de dire à son employeur : « Je vais travailler pendant le mois de février, mais j’aimerais être payé le 1er février au lieu du 28 février. » Essayez-le, je ne pense pas que vous obtiendriez le poste.

(1630)

Ainsi, nous sommes tous des créanciers, tout au long du mois, jusqu’à ce que nous recevions notre paie. Il s’agit pratiquement d’un employé sur deux au Canada. Heureusement, nous recevons notre paie, et nous ne songeons probablement jamais au risque de ne pas recevoir notre salaire. Cependant, chaque année, pour des milliers de Canadiens qui ont fait un travail honorable pour leur employeur — et qui ont aussi mérité des avantages aux termes de leur contrat, comme les indemnités de vacances —, le risque de ne pas être payé devient, malheureusement, une réalité. Ils se situent en bas de la hiérarchie de la rémunération, pour les mêmes raisons — la priorité va aux créanciers garantis — qui ont la place d’honneur en cas de faillites et de situation d’insolvabilité.

Ma thèse de maîtrise en droit portait sur le recouvrement du salaire par les employés. Elle a ensuite été intégrée à un chapitre de l’ouvrage incontournable sur le droit du travail au Canada, qui a été rédigé par Innis Christie, un éminent avocat en droit du travail et de l’emploi. En fait, certaines éditions étaient signées par Christie et Cotter, mais mon nom a fini par disparaître.

J’avais deux idées de titre pour le premier chapitre. La première est un peu un clin d’œil au film Luke la main froide. Si vous avez vu le film, vous vous souvenez peut-être du gardien qui donne la réplique à Paul Newman avec un de ces accents du Sud que je n’arrive pas à bien reproduire. Je voulais que la phrase suivante soit le titre du chapitre : « Ce que nous voyons ici, c’est une absence de rémunération. » Je suis désolé pour la piètre qualité de la blague. Ma deuxième proposition de titre, qui n’a pas été acceptée, était la suivante : « Recouvrement du salaire par les employés : les créanciers garantis gagnent toujours ».

La vérité, c’est que, dans chacune des provinces — et dans la plupart des territoires, je crois —, des efforts ont été déployés par les gouvernements en vue de mieux protéger les travailleurs contre la possibilité qu’ils ne soient pas rémunérés. Toutes sortes d’outils plus imaginatifs les uns que les autres, comme le recours à des hypothèques ou des fiducies, ont été employés pour essayer de répondre aux problèmes que vivent les travailleurs en cas de faillite et d’insolvabilité. À peu près tous ces efforts ont échoué : en partie à cause des règles relatives à la propriété; en partie parce qu’ils ont été perçus comme des tentatives déguisées de s’ingérer dans les questions relatives à l’insolvabilité et aux faillites, qui sont de compétence fédérale d’après la Constitution.

Plus récemment, certains progrès ont été réalisés, avec l’appui du gouvernement fédéral, grâce au Programme de protection des salariés et à l’octroi d’une certaine priorité en cas de faillite ou d’insolvabilité, un filet de sécurité en quelque sorte.

Soit dit en passant, à peu près toutes ces initiatives qui viennent en aide aux banquiers sont attribuables aux efforts du sénateur Yussuff.

Dans ce domaine, même d’après les évaluations du gouvernement du Canada, jusqu’à la moitié de la rémunération promise et due aux employés n’est jamais récupérée.

Ces créances sont invariablement plus petites que le manque à gagner des fonds de pensions dont nous parlons, mais j’aimerais que vous réfléchissiez à ces nombreux travailleurs. Souvent, ils sont les derniers à apprendre que leur employeur est en difficulté financière. Ils vivent d’un chèque de paie à l’autre et découvrent soudainement qu’ils ont perdu leur emploi et qu’ils devront faire une tonne de démarches s’ils veulent récupérer, souvent au mieux, la moitié du salaire qui leur est dû. Entre-temps, ils doivent continuer de verser les montants qu’ils doivent payer tels que leur loyer, leur hypothèque, l’épicerie, leur prêt-auto, leurs cartes de crédit, et ainsi de suite.

Un amendement visant à mieux protéger ces salaires impayés, ces indemnités de licenciement et ces indemnités de vacances, ainsi qu’à remédier à cette injustice sociétale urgente a été largement soutenu à l’autre endroit, mais il y a finalement été rejeté. Il est tentant pour moi de proposer un amendement à ce projet de loi pour remédier à une anomalie et à une injustice persistantes — une préoccupation qui me passionne depuis plus de 40 ans —, mais faire passer la ligne d’arrivée aux projets de loi d’initiative parlementaire, c’est un peu comme pousser une boule de neige jusqu’en haut d’une colline.

Ce projet de loi est habilement poussé en haut de la colline par le sénateur Wells, qui est peut-être notre sénateur le plus en forme, assisté par le sénateur Yussuff. J’ai discuté de cet amendement avec eux deux et avec le sénateur Plett, qui me l’a déconseillé. Le sénateur Plett et moi ne sommes pas toujours d’accord, mais, cette fois-ci, j’ai suivi son conseil avec sagesse, il me semble. Je pense que le message du sénateur Plett, même s’il ne l’a pas formulé de cette manière, était qu’en mettant plus de poids sur ce projet de loi, même le sénateur Wells pourrait ne pas être en mesure de l’amener au sommet de la colline.

Après des efforts qui ont été déployés pendant près de 40 ans, nous approchons du fil d’arrivée, et je ne voulais pas risquer de devoir faire face aux conséquences qui pourraient survenir si on tardait à adopter le projet de loi. Par respect pour les personnes qui ont défendu cette initiative, que ce soit ici, ailleurs et bien au-delà du domaine parlementaire, j’ai décidé de garder mon amendement en réserve. Cependant, je tiens à indiquer que j’ai l’intention d’élaborer prochainement un projet de loi distinct pour remédier à cette injustice qui subsiste. J’espère que vous l’appuierez. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Votre temps est écoulé, et la sénatrice Lankin a une question. Sénateur Cotter, demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à la question?

Le sénateur Cotter : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il consentement? J’ai entendu un « non ».

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi sur les compétences linguistiques

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Housakos, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-229, Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (lieutenant‑gouverneur du Nouveau-Brunswick).

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est à son 15e jour et je ne suis pas prêt à intervenir. Par conséquent, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion du sénateur Dalphond, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Projet de loi de Jane Goodall

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-241, connu sous le nom de « loi de Jane Goodall ». Depuis que ce projet de loi nous a été présenté, nous avons entendu de nombreux discours inspirés, passionnés, voire lyriques, sur l’importance de protéger les animaux, en particulier les mammifères « charismatiques », comme les gorilles, les éléphants, les tigres et les baleines, contre les mauvais traitements et l’exploitation.

Nos attentes culturelles concernant les soins à apporter aux animaux sauvages en captivité dans les zoos et les aquariums ont radicalement changé au cours de notre vie. Aujourd’hui, il ne suffit pas que les animaux soient en sécurité et bien nourris. Nous exigeons également que les animaux soient soignés et exposés d’une manière qui reconnaît et respecte leur dignité et leur autonomie. Nous pensons désormais que le rôle premier des jardins zoologiques et des parcs marins n’est pas de divertir les enfants et de vendre du maïs soufflé, mais de protéger les espèces menacées de disparition ou d’extinction. Les zoos du Canada sont fiers de leurs programmes d’élevage et des efforts qu’ils déploient non seulement pour assurer la sécurité des animaux en captivité, mais aussi pour les réintroduire, lorsque possible, dans leur habitat naturel.

Il s’agit d’un changement radical de paradigme. Durant mon enfance, à Edmonton, j’habitais à quelques rues de ce qui s’appelait alors le zoo Storyland. Les animaux étaient gardés dans des enclos qui présentaient des décors et des toiles de fond évoquant des comptines et des contes de fées. Aucun effort n’était fait pour que les animaux évoluent dans un environnement naturel. Ils étaient là pour avoir l’air mignons et faire partie d’un monde imaginaire de contes de fées.

(1640)

Mais le zoo a laissé tomber le thème du monde imaginaire il y a des dizaines d’années. Aujourd’hui, l’Edmonton Valley Zoo se concentre surtout — mais pas exclusivement — sur la faune nordique et des prairies qui est bien adaptée à la vie le long du 53e parallèle. Le zoo s’efforce, dans la mesure du possible, d’offrir un environnement relativement naturel aux animaux. Certains des vieux enclos sont toujours là, mais le zoo progresse dans la bonne direction et se tient au fait des philosophies émergentes dans ce domaine.

L’Edmonton Valley Zoo est aussi membre d’un réseau international participant à ce qu’on appelle le Species Survival Plan, un programme de reproduction et de rétablissement d’espèces menacées ou en voie de disparition. Il participe notamment à la reproduction et à la protection du tigre de l’Amour, du zèbre de Grevy, du léopard des neiges, du petit panda et du tamarin de Goeldi. Le zoo appuie aussi les travaux des organismes Snow Leopard Trust, Red Panda Network et Amphibian Ark.

L’Edmonton Valley Zoo a fait de son mieux pour apprendre des erreurs et des préjugés du passé et s’efforce de créer un lieu éducatif pour la collectivité et qui participe à la sauvegarde des espèces menacées.

J’en parle non seulement pour souligner la façon dont la philosophie de la gestion des zoos canadiens a évolué au fil du temps, mais aussi parce que les succès — et les échecs — de l’Edmonton Valley Zoo mettent en lumière une lacune problématique du projet de loi S-241.

Dans sa version actuelle, le projet de loi s’aligne sur les normes américaines en matière de soins dans les zoos et les aquariums, établies par l’Association of Zoos and Aquariums, l’AZA. Le projet de loi accorde aux sept grands zoos et parcs marins canadiens accrédités par l’AZA des exemptions et des privilèges particuliers, auxquels les autres zoos canadiens n’ont pas droit, et ce, peu importe que le Canada dispose de son propre organisme qui inspecte et qui évalue de manière indépendante les zoos canadiens, Aquariums et zoos accrédités du Canada ou AZAC.

Le projet de loi n’explique pas pourquoi nous devons ou devrions nous fier aux normes américaines plutôt qu’aux normes canadiennes. Il laisse sous-entendre que l’accréditation américaine est meilleure ou, peut-être, plus difficile à obtenir. Cependant, en tant que Canadienne, je ressens un profond malaise à l’idée d’inscrire dans le texte du projet de loi une préférence explicite pour les protocoles américains plutôt que canadiens...

Une voix : Bravo!

La sénatrice Simons : ... sans aucune preuve, tout simplement parce que si c’est américain, c’est forcément mieux.

Si nous craignons qu’Aquariums et zoos accrédités du Canada n’aie pas les normes adéquates ou assez de mordant, il nous faudrait régler ce problème plutôt que d’importer dans notre mesure législative canadienne des règles et des règlements américains. Bien que nous puissions penser aujourd’hui que celles-ci sont préférables, à la lumière des changements culturels que connaissent les États-Unis, souhaitons-nous vraiment assujettir notre mesure législative aux principes et aux modèles américains à long terme?

En devant nous en remettre au jugement des inspecteurs américains, nous risquons également de nous priver de la possibilité de prendre des décisions nuancées fondées sur des réalités locales précises, et j’aimerais à ce sujet revenir sur l’exemple de l’Edmonton Valley Zoo et parler d’un problème évident.

L’une des principales raisons pour lesquelles l’Edmonton Valley Zoo n’a jamais obtenu l’accréditation de l’AZA est qu’il abrite une éléphante d’Asie solitaire nommée Lucy. Lucy vit au zoo depuis 45 ans et sa présence y est controversée depuis des décennies, des groupes de pression du monde entier exigeant son transfert dans un refuge pour éléphants aux États-Unis, où bon nombre de ces refuges, soit dit en passant, ne sont pas accrédités par l’AZA.

Si j’avais une machine à remonter le temps et si je pouvais annuler la décision prise il y a plus de 40 ans de faire venir Lucy à Edmonton, je le ferais. Le zoo n’aurait probablement jamais dû avoir d’éléphant. Comme beaucoup d’entre vous l’ont expliqué, les éléphants sont des animaux intelligents et sociaux qui ne s’épanouissent pas dans la solitude, et ce sont des animaux de grande taille qui ont besoin d’espace et de liberté pour se déplacer. Ils ne sont pas faits pour être logés dans des granges ou des enclos.

C’est une chose de dire que le zoo n’aurait jamais dû avoir d’éléphant ou qu’il devrait améliorer ses enclos, mais c’en est une autre d’insister pour que Lucy soit déplacée sur-le-champ. Depuis des années, l’association britannique de défense des droits des animaux Free the Wild mène une campagne internationale pour que Lucy soit retirée de l’Edmonton Valley Zoo. Pas plus tard qu’en 2021, Free the Wild a décrit Lucy comme étant « prisonnière » et au « purgatoire ». La déclaration publique de l’association se poursuit ainsi :

La question demeure : pourquoi l’Edmonton Valley Zoo, après quatre décennies de pure exploitation, choisit-il de continuer à torturer Lucy?

En réponse, le zoo a invité quatre experts indépendants — choisis par Free the Wild — à examiner Lucy en octobre dernier. La semaine dernière, Free the Wild a publié leurs rapports indépendants sur la santé de Lucy et les soins qui lui ont été prodigués. Les experts ont-ils trouvé des preuves de torture?

Eh bien, voici ce qu’a écrit Ingo Schmidinger, qui est un spécialiste international des soins des éléphants vivant en captivité et qui, au moment de l’examen, était directeur des opérations internationales pour le Global Sanctuary for Elephants, un sanctuaire mondial pour les éléphants. Je le cite :

Les membres de l’équipe accomplissent leurs tâches quotidiennes avec énormément de dévouement […]

 — a-t-il affirmé à propos du personnel de l’Edmonton Valley Zoo —

[…] Il est extraordinaire de voir tout le temps que le personnel soignant passe avec Lucy durant toutes les heures de travail, chaque jour, ainsi que d’observer la très grande attention qu’elle reçoit de chaque membre de l’équipe.

M. Schmidinger a conclu que, idéalement, Lucy devrait être réinstallée dans un sanctuaire pour les éléphants. Il a signalé, cependant, que, à cause d’une affection respiratoire de longue date, il doutait qu’elle puisse être déplacée sans danger en ce moment. Lucy respire et boit uniquement par sa bouche, et jamais par sa trompe, ce qui est extrêmement atypique. Personne ne sait si sa trompe est bloquée ou obstruée d’une façon quelconque. Malgré leurs meilleurs efforts, aucun des quatre experts n’a été en mesure de déterminer la cause de sa détresse respiratoire.

Voici ce que M. Schmidinger a écrit à ce sujet.

Cependant, on n’a pas encore déterminé quelle est la cause de ses problèmes respiratoires, même s’ils ont été observés et mentionnés depuis au moins 2008. […] Nous devons donc présumer que, dans les circonstances actuelles — puisque nous ne savons encore pas ce qui se passe avec Lucy —, il ne serait peut-être pas approprié de la déplacer en ce moment même.

Un autre rapport, rédigé par le Dr Frank Goeritz, vétérinaire en chef du Leibniz-Institut für Zoo-und Wildtierforschung à Berlin, et son collègue Thomas Hildebrandt, chef du département de gestion de la reproduction du Leibniz-Institut, est beaucoup plus catégorique. Ils ont écrit :

Pour résumer toutes les constatations médicales, nous concluons que Lucy n’est pas apte à voyager, que ce soit sur de longues ou de courtes distances [...] Le stress et même une activité physique très légère amènent Lucy dans un état métabolique d’anaérobie, ce qui peut conduire à une décompensation totale de sa respiration et donc de son métabolisme général.

Ils ont conclu :

Lucy doit donc rester [...] Outre le fait qu’elle ne peut pas voyager, elle est gériatrique et ne serait pas en mesure de s’adapter à son nouvel environnement (habitat inconnu, nouveau personnel soignant et autres éléphants). Lucy reçoit beaucoup d’affection et d’attention de la part de ses soigneurs et des vétérinaires, ce qui a donné lieu à un programme de gestion et d’enrichissement adapté à l’âge et à l’état de santé de Lucy. Elle ne survivrait pas sans l’aide des humains. L’objectif ultime est de garder Lucy stimulée et occupée et de lui fournir de bons soins pour le reste de sa vie [...]

Permettez-moi de préciser que l’âge médian de la mort d’un éléphant en captivité au Royaume-Uni est de 20 ans. Pour un éléphant d’Asie en captivité en Amérique du Nord, l’âge médian de la mort est de 43 ans, et Lucy a déjà 47 ans.

La quatrième experte à examiner Lucy, la Dre Patricia London, est arrivée à une conclusion différente. La Dre London, une vétérinaire américaine et la fondatrice de l’Asian Elephant Wellness Prioject, a conclu qu’en prenant les précautions appropriées, Lucy pourrait très bien survivre à un déménagement dans un sanctuaire pour éléphants au Tennessee. Même si la Dre London était celle qui a le plus critiqué la situation de Lucy, elle, aussi, a loué l’équipe qui prenait soin de l’éléphant. Voici ce qu’elle a écrit :

[...] il est reconnu que le personnel semble très déterminé à prendre soin de Lucy [...] À mon avis, l’équipe vétérinaire en place fait du bon travail pour surveiller Lucy et gérer sa douleur, et elle a son intérêt à cœur dans tout son travail et toutes ses recommandations. Tous les membres ont été très accueillants, et ouverts à toutes les suggestions concernant les soins de Lucy.

Mon objectif ici n’est pas de donner un A plus à l’Edmonton Valley Zoo en matière de soins aux éléphants. Les experts s’entendaient tous pour dire que Lucy bénéficierait d’une vie plus active, d’une alimentation incluant moins de foin et de fruits et plus de céleri et de persil — ce qui est probablement notre cas à tous —, d’un sable de meilleure qualité pour s’étendre, d’un accès à une piscine ou à un point d’eau et d’un espace beaucoup plus grand pour circuler librement. De plus, en tant qu’habitante d’Edmonton, je partage la frustration de la Dre London au sujet du fait qu’une grande partie de ces recommandations ont été faites dans le passé sans qu’on y donne suite. Lorsque la Ville d’Edmonton a assumé la responsabilité d’une éléphante il y a 45 ans, il lui incombait de veiller à ce qu’elle reçoive les meilleurs soins jusqu’à la fin de sa vie.

Toutefois, peut-on vraiment parler de torture et de purgatoire? De tels propos enflammés facilitent les collectes de fonds, mais sont peu utiles pour la prise de décisions dans l’intérêt de Lucy.

J’ai passé un bon moment à parler du cas de Lucy parce que certains d’entre vous ont soulevé des préoccupations très précises et saisissantes au sujet de son bien-être dans leur discours. Je voulais que vous disposiez tous de la dernière analyse indépendante sur son état de santé, qui a été menée par quatre experts embauchés par Free the Wild.

Cela dit, le cas de Lucy illustre l’importance du projet de loi S-241, puisqu’il limitera énormément la capacité d’autres zoos de faire les mêmes erreurs qu’a faites l’Edmonton Valley Zoo il y a 45 ans. Toutefois, il illustre également les limitations de ce projet de loi, qui repose trop sur des normes américaines — et non canadiennes — et qui présume trop facilement que le modèle américain est nécessairement meilleur du fait qu’il est américain.

Lorsque ce projet de loi sera renvoyé au comité, j’espère que les membres du comité passeront outre leurs sentiments et prendront une décision fondée sur des preuves scientifiques. Nous devons être de bons gardiens des animaux dont nous avons la garde et veiller à ce que nos zoos et nos aquariums soient adéquats et adaptés au XXIe siècle. Cela dit, il faut aussi voir à prendre les décisions à ce sujet ici même, au Canada, et à assumer les responsabilités qui en découlent ici aussi.

(1650)

Merci, hiy hiy.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Code criminel

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Kutcher, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada).

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je prends la parole pour appuyer le principe du projet de loi S-251, présenté par le sénateur Kutcher.

À première vue, il s’agit d’un projet de loi très simple, très court et très facile à appuyer à propos de l’usage de la force raisonnable pour corriger un enfant. Qui d’entre nous, dans cette Chambre, est favorable à une quelconque forme de violence envers les enfants? Personne, évidemment.

De plus, qui pourrait s’opposer à envoyer un message clair, ne serait-ce que symbolique, quant à notre détermination à enrayer toute forme de maltraitance, d’abus et de traumatisme chez les enfants canadiens? Encore une fois, personne.

Par ailleurs, ce sujet touche la plupart d’entre nous personnellement, que ce soit comme ancien enfant ou comme parent.

Comme plusieurs personnes de ma génération, j’ai moi-même subi des corrections physiques quand j’étais jeune. J’ai un souvenir vif de la première fessée que j’ai reçue de ma mère à l’âge de 7 ou 8 ans quand nous vivions en France. Toutefois, ce qui était pire, c’était les punitions à l’école. À cette époque, à l’école primaire à Paris, les punitions étaient un outil fréquemment utilisé pour mater les enfants. Je me souviens de camarades de classe qui ont reçu une fessée devant tout le monde et d’autres à qui la maîtresse faisait faire le tour de la classe en les tenant par l’oreille. C’était le comble de l’humiliation pour les élèves.

Quand je suis revenue au Québec dans les années 1970, les mœurs n’étaient plus les mêmes, du moins à l’école. Contrairement à la sage et patiente sénatrice que je suis devenue, j’étais une adolescente rebelle. J’ai d’ailleurs un vif souvenir d’une gifle magistrale que ma mère m’avait donnée après que je l’ai insultée. Disons que cela n’avait pas amélioré nos relations.

J’ajoute que bien que je garde ces corrections en mémoire, elles n’ont pas occasionné de traumatisme durable. En fait, comme sans doute bien d’autres enfants, j’ai été davantage atteinte par les cris et les reproches dans ma famille. Les gifles heurtent sur le coup, mais les mots peuvent blesser à long terme. Or, je doute que l’État puisse un jour légiférer sur ce qu’un parent peut dire ou non à ses enfants.

Le projet de loi S-251 propose d’éliminer l’exception prévue à l’article 43 du Code criminel, qui permet notamment à un parent « [d’]employer la force pour corriger [...] un enfant [...] pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances. »

Bien que je sois en faveur du principe du projet de loi, je soulève quand même trois objections ou difficultés qui méritent réflexion.

La première est une question politique qui revient dans plusieurs de nos débats : jusqu’où le gouvernement peut-il réglementer des comportements privés? Bien sûr, personne ne doute que le gouvernement puisse criminaliser la violence contre les enfants, comme il le fait pour toute personne, et en particulier pour les plus vulnérables.

Quand il est question de « force [qui] ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances », toutefois, on entre aussi sur le terrain de l’éducation, de la discipline et de la discrétion dans l’exercice de l’autorité parentale. Il est clair que l’État peut et doit protéger les enfants contre la violence, mais il peut et doit aussi respecter le jugement des parents.

[Traduction]

Il convient aussi de garder à l’esprit que l’exception prévue à l’article 43 est déjà très limitée. Voici des extraits d’une lettre que le ministre de la Justice, M. Lametti, a adressée à Heidi Illingworth, ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, en mars 2021 :

La question de savoir si l’article 43 devrait être abrogé soulève des opinions divergentes et bien arrêtées à travers le Canada. [...]

Comme vous le savez sans doute, les voies de fait sont définies au sens large dans le droit pénal canadien de façon à comprendre tout emploi non consensuel de la force contre autrui. Cette définition s’étend également aux attouchements non consensuels qui n’entraînent ni lésions ni marques physiques. Toutefois, l’article 43 du Code criminel offre une défense restreinte contre la responsabilité criminelle dont peuvent se prévaloir les parents, les personnes qui les remplacent ou les enseignants dans les cas d’utilisation non consensuelle d’une force raisonnable contre un enfant. [...]

En 2004, la Cour suprême du Canada (CSC) a jugé que l’article 43 était conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Elle a également établi des lignes directrices restreignant considérablement l’application de cette défense à une force corrective raisonnable de nature transitoire et insignifiante. En outre, la décision de la CSC prévoit que les enseignants ne peuvent en aucun cas employer la force pour infliger une punition physique. [...]

[Français]

Il existe plusieurs modèles et approches en matière d’éducation des enfants. Je ne crois pas qu’on puisse ramener cette grande et complexe aventure humaine à une science exacte où il existe des réponses définitives et universelles applicables à toute situation. Pour cette raison, nous devons faire attention de ne pas cibler des approches parentales qui peuvent nous déplaire, mais qui ne méritent pas nécessairement d’être criminalisées.

Dans la même veine, je note qu’il existe non seulement des différences entre les personnes et les familles, mais parfois aussi entre les cultures. La manière d’éduquer les enfants, le rôle de l’autorité et de la discipline et les approches parentales sont des notions souvent associées à notre histoire personnelle ou à celle d’une culture. En fait, les cultures et le contexte familial ont aussi une influence sur la perception et l’impact des corrections physiques sur les enfants.

Encore une fois, je réitère qu’il n’est pas question ici de permettre les abus, la maltraitance ou la violence envers les enfants de quelque façon que ce soit, mais il ne faudrait pas non plus que, retirant l’exemption étroite prévue à l’article 43 du Code criminel, nous nous trouvions à cibler de manière disproportionnée des Canadiens issus de cultures minoritaires. Il est possible que certaines approches parentales ne soient pas celles que nous privilégions personnellement. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles sont criminelles.

[Traduction]

Enfin, je souligne une situation quelque peu paradoxale. De nombreuses personnes qui appuient le projet de loi affirment que nous n’avons pas à craindre que d’innombrables nouvelles poursuites soient intentées contre des parents si nous supprimons l’exemption prévue à l’article 43. En effet, même si la suppression de l’exemption fait techniquement de tout attouchement non consensuel d’un enfant par ses parents une infraction criminelle, tout le monde est conscient qu’il s’agit là d’une situation absurde. C’est pourquoi les partisans du projet de loi soutiennent que si nous supprimons l’exemption prévue à l’article 43, une nouvelle série de moyens de défense et d’exemptions prévus par la common law s’appliquerait, y compris une exception pour les infractions bénignes, des règles sur la nécessité, le consentement implicite et autres.

Allons-nous donc vraiment juste supprimer une exemption explicite, codifiée et interprétée de manière étroite et la remplacer par de nombreuses exemptions vagues et non codifiées qui permettraient d’atteindre le même objectif? À certains égards, on pourrait dire qu’on nous demande de rendre le Code criminel moins pragmatique et moins réaliste, ce qui obligera les tribunaux à trouver de nouvelles solutions de rechange. Autrement dit, le changement que nous envisageons pourrait être plus symbolique que substantiel.

Cela dit, je reconnais qu’il existe un mouvement mondial visant à supprimer ces exemptions limitées, même si cela signifie qu’il faut en élaborer de nouvelles pour les remplacer.

En 2022, 65 pays avaient interdit les châtiments corporels. Même en France, l’article 371-1 du Code civil a été modifié en 2019.

[Français]

L’article dit ceci : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »

[Traduction]

Si les Français peuvent prendre un engagement de la sorte, peut‑être que nous le pouvons aussi.

La société évolue et il est normal que nous adaptions nos lois à cette évolution. Parfois, il faut mettre les lois à jour afin de refléter la réalité que nous vivons et, parfois, afin de refléter nos aspirations. Ce n’est pas parce que les choses se font d’une certaine façon depuis toujours qu’elles ne peuvent pas changer.

Je crois que les lois ont un rôle à jouer pour ce qui est de donner le ton et que nous devons avoir confiance en la capacité des institutions de se comporter raisonnablement. Merci.

[Français]

L’honorable Lucie Moncion : Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

(1700)

La sénatrice Moncion : Vous avez parlé du secteur de l’éducation; plusieurs professeurs sont venus nous parler de l’importance de la nuance qui doit être apportée à cet article par rapport au système de l’éducation. On sait qu’il arrive parfois que des enfants doivent être restreints, si l’on veut, parce qu’ils sont extrêmement violents et qu’ils perdent le contrôle de leurs émotions.

Je ne sais pas si vous avez un commentaire à faire sur ces restrictions qui semblent préoccuper le secteur de l’éducation.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’après ce que je comprends de l’histoire de ce genre de projet de loi — parce que ce n’est pas la première fois que cet article du Code criminel est mis en cause —, le secteur de l’éducation a toujours réagi en disant : « Parfois, on a besoin d’aller jusque-là. »

Je comprends que la Cour suprême a déjà dit que les professeurs et les enseignants avaient très peu de marge de manœuvre pour intervenir. Cependant, dans cette situation comme dans celle de parents, la question de restreindre un enfant pour qu’il ne se blesse pas est quelque chose qui vient me chercher. Il est très difficile de légiférer de façon absolue et générale sur des êtres humains.

Vous avez tous vu vos enfants faire des crises — j’appelle cela la « crise du bacon » —, et parfois, on manque de moyens. Cependant, à mon avis, il ne faut pas confondre le fait de calmer un enfant, même de façon maladroite, et le fait d’employer une force non raisonnable.

C’est une bonne question. En lisant sur cette question, je me rends bien compte que ce n’est pas si simple. Oui, nous avons un article qui parle de force raisonnable. En 2023, c’est symboliquement très difficile d’utiliser ces mots-là, car on voit toujours la pire situation. Cependant, si on supprime cet article, qu’est-ce que cela signifie? Allons-nous devoir développer une jurisprudence pour déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas? Il y aura toujours des situations qui seront un peu grises.

[Traduction]

L’honorable Hassan Yussuff : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui.

Le sénateur Yussuff : Comme vous le savez, modifier la loi pour soutenir le projet de loi et tous les principes qu’il contient constitue la partie la plus facile.

Il faut changer les mentalités. Avec les parents et leurs enfants, ce n’est pas si facile. Dans chaque culture, ce n’est pas si facile.

Le plus grand défi sera d’éduquer les parents pour qu’ils traitent leurs enfants différemment de ce qu’ils ont été amenés à faire. Quand j’étais jeune, mes parents considéraient que les châtiments corporels étaient normaux. Ce n’est que bien plus tard qu’ils ont réalisé que ce n’était pas la bonne façon de procéder. Peut-être que cela n’a pas amélioré mon comportement — je n’en suis pas sûr — ou peut-être que cela m’a rendu plus délinquant. La réalité, c’est que mes parents ont changé, et je leur en suis reconnaissant. Dans ma famille nombreuse de 10 personnes, nous avons grandi en sachant que nous ne pouvions pas traiter nos enfants de cette manière. Je suis reconnaissant aujourd’hui que ma fille ait grandi sans jamais avoir subi de châtiment corporel.

La question la plus importante que je me pose, c’est de savoir comment changer les mentalités des familles, sachant que certaines considèrent qu’il s’agit d’un moyen fondamental d’élever leurs enfants comme elles l’entendent. Ce n’est pas chose facile. Certains sont guidés par l’Évangile, d’autres par leur propre expérience familiale. Je sais que ce n’est pas juste, mais j’ai pensé que je devais vous poser cette question.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : La question est l’essence même du problème. Les lois peuvent faire une partie du travail, et elles représentent un signal, un symbole. La société change à son rythme. Vous l’avez dit vous-même : parfois, il s’agit d’une question de génération, parfois de culture, mais la vision de la punition corporelle n’est certes pas la même dans toutes les familles. Comment peut-on faire cela?

Évidemment, cela fait aussi partie de l’enseignement à l’école. Je sais qu’au Québec, on est en train de développer de nouveaux cours sur ces questions civiques. Il n’y a pas de solution magique. Vous me posez une question extrêmement difficile. Il reste que, à un moment donné, les enfants se parlent entre eux, et il peut y avoir toutes sortes d’influences qui font qu’ils se rendent compte qu’une situation n’est pas normale. Ils en parlent aux amis et à la psychologue, et les parents eux-mêmes cheminent. On n’est plus en 1960, comme quand je vivais en France. Les choses ont beaucoup changé.

Je voulais montrer que je suis d’accord avec le principe du projet de loi, mais que, de toute évidence, celui-ci ne réglera pas l’ensemble des questions sociales qui gravitent autour de cela.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’honorable Denise Batters propose que le projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels), soit lu pour la deuxième fois.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-291, qui vise à modifier le Code criminel pour remplacer le terme « pornographie juvénile » par l’expression, plus complète, « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ».

Cette modification peut sembler anodine, mais les mots ont leur importance, en particulier lorsqu’ils ont un impact sur la vie et l’avenir des citoyens les plus vulnérables, les enfants.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais souligner les contributions des députés qui ont permis à ce projet de loi important de voir le jour. Cette initiative a été mise de l’avant par mon collègue du caucus conservateur, Mel Arnold, député de North Okanagan—Shuswap, en Colombie-Britannique. L’auteur du projet de loi C-291 est un autre de mes collègues du caucus, le député Frank Caputo.

M. Caputo a proposé ce projet de loi en s’appuyant sur son expérience en tant que procureur de la Couronne de la Colombie-Britannique. Il a remarqué un problème dans le système actuel et a décidé d’essayer de changer les choses. En faisant du porte-à-porte lors de la campagne électorale de 2021, M. Caputo a parlé de cette idée avec des électeurs de sa circonscription, et il s’est rendu compte que des électeurs canadiens se souciaient autant que lui de la protection des enfants contre l’exploitation et les abus. Par conséquent, lorsqu’il a été élu député pour la première fois, en 2021, M. Caputo savait que son premier projet de loi d’initiative parlementaire allait porter là-dessus.

Compte tenu des chances limitées de voir un projet de loi d’initiative parlementaire être mis à l’étude, en raison du système de tirage au sort de la Chambre des communes, M. Caputo a échangé son projet de loi avec M. Arnold, qui avait une place plus élevée dans l’ordre de priorité. La députée de Kelowna—Lake Country, Tracy Gray a échangé sa place avec celle de M. Arnold pour qu’il puisse présenter le projet de loi C-291 encore plus rapidement. Je tiens à remercier mes collègues conservateurs de leur excellent travail d’équipe à l’égard de ce projet de loi, car ils ont travaillé ensemble pour que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible, dans l’intérêt des enfants du pays.

Permettez donc que je revienne au fond du projet de loi. Pourquoi est-ce tellement important de changer la terminologie juridique en remplaçant le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels »? Il s’agit de reconnaître ce matériel pour ce qu’il est et de désigner comme il faut : l’abus et l’exploitation d’enfants. Le terme « pornographie » implique qu’il y aurait un élément de consentement, mais ce n’est jamais le cas lorsqu’il s’agit d’un enfant, surtout lorsqu’il s’agit d’une situation de déséquilibre de pouvoir avec un adulte. De plus, le terme « pornographie » implique perversement un élément de divertissement au lieu de faire voir la vraie nature de ce matériel : il s’agit de l’abus ignoble et dégradant d’enfants.

(1710)

La nouvelle phrase ne change pas concrètement l’application de la loi. Tous les éléments précédemment couverts par l’expression « pornographie juvénile » le seront toujours selon la nouvelle terminologie. La pornographie juvénile est devenue une infraction au Code criminel en 1993. En ce moment, cette infraction se lit comme suit :

163.1 (1) Au présent article, pornographie juvénile s’entend, selon le cas :

a) de toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre, réalisée ou non par des moyens mécaniques ou électroniques :

(i) soit où figure une personne âgée de moins de dix‑huit ans ou présentée comme telle et se livrant ou présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite,

(ii) soit dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de moins de dix‑huit ans;

b) de tout écrit, de toute représentation ou de tout enregistrement sonore qui préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi;

c) de tout écrit dont la caractéristique dominante est la description, dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi;

d) de tout enregistrement sonore dont la caractéristique dominante est la description, la présentation ou la simulation, dans un but sexuel, d’une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi.

Lorsque M. Arnold a présenté pour la première fois le projet de loi C-291, celui-ci proposait de remplacer le terme « pornographie juvénile » par « matériel d’abus pédosexuels ». Le Comité de la justice de la Chambre des communes a amendé ce projet de loi en y ajoutant « et d’exploitation » afin de mieux englober l’ensemble de l’infraction. Toutefois, le comité a pris soin de préciser que cet ajout n’élargirait pas l’interprétation actuelle de l’infraction, mais qu’il refléterait mieux ce qui figure déjà dans la définition actuelle.

L’expression « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » s’inscrit dans une tendance mondiale qui s’éloigne de l’expression « pornographie juvénile » pour certaines des raisons que j’ai déjà mentionnées. Le Parlement européen a adopté une résolution en ce sens en mars 2015, qui :

[...] estime essentiel d’utiliser la terminologie correcte pour les crimes contre les enfants, y compris la description d’images d’abus sexuels d’enfants, et d’employer le terme adéquat de « matériel pédopornographique » plutôt que celui de « pédopornographie ».

Les organismes chargés de l’application de la loi ont également remplacé l’expression « pornographie juvénile » par une formulation décrivant l’abus et l’exploitation pédosexuels. Europol et INTERPOL utilisent les termes « matériel d’abus pédosexuels » et « matériel d’exploitation pédosexuelle ».

Le site Web canadien de la GRC sur l’exploitation sexuelle des enfants explique que le terme « pornographie juvénile » est dépassé « et profite aux agresseurs sexuels d’enfants, car il laisse entendre que les infractions sont des actes consensuels » et « évoque des images d’enfants posant dans des positions provocantes, plutôt que des victimes d’agressions sexuelles horribles » et déclare que « ce choix de terme permet aux agresseurs de justifier et de normaliser leurs crimes ».

Le débat moderne sur ce matériel d’abus et d’exploitation cadre avec la tenue d’une discussion respectueuse sur la guérison axée sur l’enfant et sur la victime pour les survivants d’agressions sexuelles contre des enfants. Le fait d’appeler ces crimes par leur nom est une façon de reconnaître l’immense gravité des infractions commises contre les enfants et l’impact dévastateur de ces abus sur leur vie. L’expression « pornographie juvénile » minimise cet impact.

À une époque où la technologie permet une vaste prolifération du matériel d’exploitation sexuelle des enfants, le produit de ces crimes odieux contre les enfants reste indéfiniment en ligne et détruit de manière répétée les enfants victimes à chaque écoute. La nature insidieuse et écrasante d’Internet à l’échelle mondiale hante les victimes qui cherchent désespérément à faire retirer le matériel qui illustre les abus dont elles ont été victimes. Les tourments infligés par cette exploitation vont bien au-delà de tout crime physique ou sexuel, c’est l’esprit, l’âme et, dans bien trop de cas, l’avenir d’un enfant qui sont sacrifiés.

Voici ce qu’en dit une personne qui a été victime d’exploitation sexuelle quand elle était enfant et qui est maintenant adulte :

Je vis tous les jours dans la crainte constante que quelqu’un voie mes photos et me reconnaisse et que je sois à nouveau humiliée. Cela me fait mal de savoir que quelqu’un les regarde — me regarde — alors que je n’étais qu’une petite fille dont on abusait pour l’appareil photo [...] Je veux que tout soit effacé. Je veux que tout s’arrête. Je suis toutefois impuissante à arrêter cela, tout comme j’étais impuissante à arrêter [...]

 — son agresseur. Elle a déclaré que lorsque l’on a découvert ce que son agresseur avait fait :

J’ai suivi une thérapie et je pensais que je m’en remettais. J’avais très tort. Ma compréhension des événements que j’ai vécus n’a fait que s’éclaircir avec l’âge. Ma vie et mes sentiments sont pires maintenant parce que le crime n’a jamais vraiment cessé et ne cessera jamais vraiment. Il est difficile de décrire ce qu’on ressent lorsqu’on sait qu’à tout moment, quelqu’un quelque part regarde des photos de la petite fille que j’étais en train d’être abusée [...] et qu’il en tire un genre de plaisir malsain. C’est comme si j’étais abusée encore et encore et encore.

Les chiffres relatifs aux abus sexuels et à l’exploitation des enfants canadiens sont alarmants. La pandémie de COVID-19 et l’isolement découlant des mesures de confinement obligatoires ont entraîné une augmentation consternante du taux d’actes criminels commis contre les enfants.

Selon Statistique Canada, le taux d’affaires de pornographie juvénile déclarées par la police est en hausse depuis 2008, 11 790 affaires de pornographie juvénile ayant été déclarées par la police en 2021. Cette tendance s’est considérablement accentuée depuis la pandémie, avec une augmentation de 47 % en 2019, et de 31 % de 2019 à 2021.

De 2014 à 2020, le nombre de cas d’abus et d’exploitation pédosexuels signalés par la police a plus que triplé. Les crimes sexuels commis contre des enfants ont également augmenté pendant la pandémie, affichant une hausse de 14 % en 2021 seulement.

Bien sûr, bon nombre de cas d’abus et d’exploitation pédosexuels se déroulent en ligne, et ces crimes ont également augmenté considérablement pendant la pandémie, étant donné que les gens étaient plus susceptibles de rester chez eux et que l’utilisation d’Internet a été plus répandue. D’après Statistique Canada, 61 % des affaires de pornographie juvénile et 20 % des infractions sexuelles contre des enfants sont considérés comme des cybercrimes.

Cyberaide.ca, le site Web du Canada pour le signalement des cas d’abus et d’exploitation pédosexuels, a rapporté une hausse incroyable de 815 % du nombre de signalements de leurres d’enfants entre 2018 et 2022. Souvent le signe précurseur d’autres crimes sexuels commis contre des enfants, le leurre d’enfants en ligne se définit comme l’usage de coercition à l’encontre d’un enfant, habituellement en communiquant à l’aide de moyens technologiques, ainsi qu’en ayant des conversations amicales avec lui pour faciliter la perpétration d’un crime sexuel à son endroit, soit en ligne ou soit dans le cadre d’une rencontre en personne.

Cyberaide.ca a observé d’autres fortes augmentations des crimes commis contre des enfants durant la pandémie. Statistique Canada signale que, en 2021 seulement :

[…] Cyberaide.ca a observé une augmentation de 37 % par rapport à l’année précédente des signalements de violence faite aux enfants sur Internet, toutes formes confondues; une hausse de 83 % des signalements de leurre informatique; une hausse de 38 % des signalements de distribution non consensuelle d’images intimes; une hausse de 74 % des rapports de sextorsion impliquant des plateformes en ligne que les jeunes utilisent souvent; une hausse du nombre d’images intimes de jeunes publiées sur des sites pornographiques pour adultes et partagées sur des plateformes de médias sociaux grand public […]

Si, en raison de leur ampleur, ces statistiques sont difficiles à saisir, il est important de souligner que ces chiffres ne reflètent que les cas d’abus et d’exploitation pédosexuels qui ont été rapportés à la police ou au service pancanadien de signalement. Les recherches indiquent que 93 % des enfants victimes d’abus ne signalent ces abus aux autorités qu’une fois qu’ils ont atteint l’âge de 15 ans et que les deux tiers d’entre eux — 67 % — n’en parlent à personne, pas même à leur famille ou à leurs amis. L’étendue de ce fléau est vraiment accablante.

Si, grâce au projet de loi C-291, nous nous penchons sur la terminologie employée dans le Code criminel afin qu’elle reflète mieux la réalité et la gravité des abus et de l’exploitation pédosexuels, nous ne pouvons pas ignorer la nature réellement horrible du matériel concerné.

Un rapport de 2016 de Cyberaide.ca portait sur plus de 150 000 signalements reçus dans les huit années précédentes. Dans le cadre du rapport, 43 762 images et vidéos d’abus sexuel d’enfants ont été examinées et 78 % d’entre elles contenaient des images d’enfants prépubères de moins de 12 ans et 63 % des enfants semblaient avoir moins de 8 ans. Fait troublant, le rapport de Cyberaide.ca indique ceci : « Plus les enfants sont jeunes, plus les actes d’abus sexuels et d’exploitation sexuelle se font intrusifs. » On peut également lire dans ce rapport que « 6,65 % des enfants de moins de 8 ans ont l’apparence d’un bébé ou d’un bambin » et que « 59,72 % des actes d’abus contre des bébés et des bambins impliquent des agressions ou des activités sexuelles explicites ou des agressions sexuelles extrêmes ».

(1720)

Les images ou les agressions sexuelles explicites sont définies de la façon suivante :

Images ou vidéos d’enfants engagés dans des actes sexuels explicites allant de l’automasturbation à des actes sexuels impliquant des adultes et d’autres enfants.

Les agressions sexuelles extrêmes sont définies comme les actes « pires que tout, comme des actes impliquant de la bestialité, du ligotage, l’usage d’armes, la défécation/miction, etc. ».

Honorables sénateurs, on en arrive à un point où il n’y a peut-être pas de mots pour pleinement décrire la dépravation de ces crimes dégoûtants — ces péchés abominables — contre des enfants innocents. Il est toutefois évident que de parler de « pornographie » dans ces cas est, bien franchement, irrespectueux et insultant pour les enfants qui en sont victimes. Rien dans ces scénarios n’est consensuel. Si l’expression « pornographie juvénile » permet d’une quelconque façon aux auteurs de ces crimes de tenter de justifier leurs actes, nous devons utiliser un autre terme. On ne doit laisser place à aucune ambiguïté.

C’est d’ailleurs ce qu’a dit le député Mel Arnold pendant le débat sur le projet de loi à la Chambre des communes. Il a dit ceci :

Ce que le Code criminel appelle de la « pornographie juvénile » est une réalité plus grave que la pornographie, car elle implique des enfants et ne peut donc pas être consensuelle. C’est une forme d’exploitation abusive, et le Code criminel devrait refléter ces réalités. Ceux qu’on appelle des pédopornographes produisent du matériel d’abus pédosexuels. Ceux qui distribuent ce matériel sont des distributeurs de matériel d’abus pédosexuels. Ceux qui possèdent ce matériel sont des propriétaires de matériel d’abus pédosexuels. Ceux qui regardent ce matériel sont des consommateurs de matériel d’abus pédosexuels. Ce sont ces réalités qui m’ont poussé à déposer ce projet de loi.

Le député Frank Caputo a cité le juge Gregory Koturbash de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique dans sa décision au terme de l’affaire R. c. Large, un cas de leurre d’enfant :

L’expression « pornographie juvénile » dilue dans une certaine mesure la véritable signification de ce que ces images et vidéos représentent. Le terme « pornographie » renforce la perception que ce qui se passe est consensuel et qu’il s’agit d’une expérience mutuelle entre le spectateur et l’acteur. Ce ne sont pas des acteurs. Il n’y a pas de consentement. Ces images et ces vidéos montrent l’exploitation sexuelle d’enfants.

Ce matériel est traumatisant. Même pour ceux qui doivent l’examiner, qu’il s’agisse de policiers chevronnés qui doivent enquêter sur des milliers de ces images en ligne ou de jurés qui sont exposés à ce matériel au cours d’un procès, quiconque a affaire à ces images ou à des histoires d’enfants exploités sexuellement en est perturbé. Le député Frank Caputo, qui, comme je l’ai dit, était auparavant procureur de la Couronne, a décrit son expérience avec ce type de matériel :

Il y a des policiers qui doivent littéralement passer en revue 3 000 fichiers multimédias. Ces policiers pourraient patrouiller dans les rues ou enquêter sur des cas de vol qualifié ou d’introduction par effraction, mais non, ils examinent des fichiers multimédias qui leur causeront probablement des préjudices psychologiques pendant quelques mois, voire le reste de leur vie.

En tant qu’ancien procureur, je me rappelle que l’une des choses plus traumatisantes que je devais faire, c’était de lire ce qui se trouvait dans ces fichiers. Habituellement, je n’avais pas à les regarder. Je qualifierais le matériel que j’ai dû examiner à l’occasion comme procureur, même si ce n’était que sous forme écrite, de traumatisant, de dégoûtant et d’infâme.

Nous devons lutter contre ce matériel avec le sérieux et la sévérité qu’il mérite, en le désignant comme l’abus et l’exploitation des citoyens les plus vulnérables du Canada, et non pas comme « pornographie » consensuelle. Ce matériel est tellement dévastateur qu’il peut avoir un effet profond même sur les professionnels de l’application de la loi les plus chevronnés.

À ce propos, ma province, la Saskatchewan, dispose d’une unité de police provinciale intégrée pour lutter contre l’exploitation des enfants en ligne, appelée Groupe de lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet. Le gouvernement de la Saskatchewan finance à hauteur de 2,1 millions de dollars neuf postes d’enquêteurs au sein de ce groupe dans trois services de police municipaux — Regina, Saskatoon et Prince Albert — ainsi que cinq ressources au sein de l’unité provinciale du groupe. L’équipe se concentre sur les enquêtes relatives aux cas d’exploitation des enfants et sur l’arrestation des auteurs, tout en promouvant la prévention et en identifiant les enfants victimes vulnérables. J’ai été fière de soutenir ce travail important à l’époque où j’ai été, pendant près de cinq ans, cheffe de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan.

Le Groupe de lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet de la Saskatchewan est considéré comme l’un des meilleures du pays. Il s’enorgueillit d’un taux de condamnation de 98 % une fois les accusations portées, et il a fait partie intégrante de nombreuses enquêtes locales et internationales sur des crimes d’agression d’enfants et d’exploitation d’enfants. Je sais que le Groupe de lutte contre l’exploitation des enfants dans Internet de la Saskatchewan a malheureusement vu le nombre de cas d’exploitation sexuelle d’enfants augmenter dans la province au cours des récentes années de pandémie, à l’instar de la tendance statistique observée dans tout le pays. Tandis que je travaillais sur le projet de loi, j’ai souvent pensé aux agents de ce groupe en Saskatchewan, qui doivent examiner quotidiennement le matériel ignoble, préjudiciable et servant à exploiter dont il est question dans le projet de loi. Ce fardeau personnel incroyable est l’un des sacrifices consentis dans le cadre de leur service.

Honorables sénateurs, l’exploitation sexuelle des enfants doit être éradiquée, et en tant que législateurs, il est de notre devoir de faire tout en notre pouvoir pour favoriser l’atteinte de cet objectif. Voilà pourquoi M. Caputo et M. Arnold ont proposé ce projet de loi à l’autre endroit, et voilà pourquoi j’ai choisi d’en être la marraine au Sénat.

Le caucus conservateur s’enorgueillit d’une tradition bien ancrée de défense de la justice. Sous le premier ministre Stephen Harper, l’ancien gouvernement conservateur a instauré diverses mesures en vue de protéger les enfants des prédateurs sexuels. En 2012, nous avons adopté le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés, qui a établi de nouvelles peines minimales obligatoires pour plusieurs infractions liées à l’exploitation d’enfants, tout en renforçant des sanctions existantes. Nous avons également créé des infractions pour combattre le leurre d’enfants et avons éliminé la possibilité, pour les délinquants reconnus coupables d’une infraction liée à l’exploitation d’enfants, d’accéder à la détention à domicile et aux peines avec sursis.

En 2015, le gouvernement conservateur a adopté le projet de loi C-26, Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants. Ce projet de loi a également établi plusieurs peines minimales obligatoires pour des infractions liées à l’exploitation d’enfants, de même que quelques nouvelles peines maximales. En outre, alors que les conservateurs étaient toujours au pouvoir, le Parlement a adopté une Charte des droits des victimes pour reconnaître les droits des victimes d’actes criminels, y compris les enfants.

Bien entendu, au cours des années suivantes, les tribunaux ont supprimé un grand nombre des peines minimales obligatoires établies par le gouvernement conservateur et les gouvernements libéraux précédents, même pour les délits les plus graves. Ces peines concernaient de nombreuses infractions liées à la protection de l’enfance, telles que la production, la possession et la distribution de matériel pédopornographique, le fait d’induire une personne âgée de moins de 18 ans à se prostituer, les contacts sexuels avec un mineur de moins de 16 ans et le leurre d’enfants.

Le gouvernement Trudeau qui est arrivé ensuite en 2015 a mis un point d’honneur à démanteler de nombreuses autres peines minimales obligatoires. Très récemment, le Sénat a malheureusement adopté l’abrogation de plusieurs peines minimales obligatoires dans le cadre du projet de loi C-5, principalement pour les armes à feu et les infractions liées à la drogue, ainsi que l’élargissement des peines d’emprisonnement avec sursis pour de nombreux crimes, y compris l’enlèvement d’une personne de moins de 14 ans. Si le public canadien devait convenir que les peines minimales obligatoires sont nécessaires pour certains crimes, ce serait probablement pour les crimes impliquant l’abus sexuel et l’exploitation d’enfants. Pour la plupart des gens raisonnables, il s’agit là d’une limite à ne pas franchir. Pourtant, lorsque les libéraux ont supprimé les peines minimales obligatoires, ils n’ont manifesté aucun sentiment d’urgence quant au renforcement des lois sur l’exploitation des enfants afin de protéger ces derniers.

Honorables sénateurs, il est temps pour nous d’agir. Nous devons nous attaquer au fléau insidieux et insoutenable qu’est l’exploitation sexuelle des enfants. On ne saurait trop insister sur la gravité de ce problème, et les enfants canadiens ont besoin de notre aide. Comme l’a dit mon collègue, le député Mel Arnold, qui est aussi le parrain du projet de loi C-291 à la Chambre des communes :

Ces données sont vraiment choquantes, et en tant que parlementaires, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. C’est un problème qui nécessite une intervention, en particulier de la part des parlementaires que nous sommes. En adoptant ce projet de loi, nous pouvons renforcer le Code criminel. Nous pouvons tenir compte de la gravité bien réelle et des répercussions souvent à long terme pour les victimes de l’exploitation sexuelle des enfants afin de produire de la pornographie. Nous pouvons également réagir avec la vigueur que les Canadiens attendent de nous et qu’ils méritent de la part des parlementaires fédéraux.

Le projet de loi C-291 marque une étape essentielle dans la lutte contre cette triste réalité qu’est l’exploitation sexuelle des enfants. Pour régler ce problème, il faut l’appeler par son nom : il s’agit d’abus et d’exploitation pédosexuels. Ce matériel révoltant n’a rien de consensuel. Ce n’est ni du divertissement, ni de l’art. Il s’agit d’abus infligés à des enfants, d’abus qui leur volent encore et encore leur innocence, leur enfance et l’essence même de leur identité.

Le projet de loi C-291 a été rapidement adopté à l’unanimité à la Chambre des communes. J’espère qu’il connaîtra aussi un cheminement rapide au Sénat et que nous pourrons ainsi, nous aussi, faire notre part à titre de parlementaires pour protéger les enfants du Canada. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Andrew Cardozo : Je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Batters pour son discours très réfléchi et rempli d’émotion. Je remercie aussi les députés Caputo et Arnold d’avoir lancé ce projet de loi, et je vous félicite de poursuivre cet élan ici.

(1730)

J’ose espérer que dans une certaine mesure, notre société a évolué. Pourtant, en ce qui concerne ce problème — l’exploitation d’enfants déguisée en pédopornographie —, je crois que la situation est de plus en plus grave, probablement en partie en raison d’Internet qui permet de mettre ce contenu atroce à la disposition de beaucoup de gens.

Dans vos échanges avec M. Caputo, celui-ci avait-il l’impression que la situation s’aggrave et que l’on produit de plus en plus de contenu du genre, ou était-il d’avis que l’humanité s’améliore à cet égard?

La sénatrice Batters : Je pense, comme je l’ai souligné dans mon discours, que cela est dû en grande partie à la prolifération de tout ce contenu en ligne, comme le montrent les statistiques. Oui, M. Caputo est récemment devenu député, mais il a été procureur pendant un certain temps avant cela. Les statistiques montrent que le phénomène ne cesse de s’amplifier. C’est pourquoi je pense que nous devons prendre des mesures. Ce projet de loi ne représente pas une avancée considérable, mais il s’agit d’un pas dans la bonne direction, d’un pas important. Les mots ont de l’importance, c’est pourquoi je pense que nous devrions prendre cette mesure à ce stade.

L’honorable Paula Simons : Sénatrice Batters, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Batters : Oui.

La sénatrice Simons : À l’heure actuelle, notre loi sur la pornographie juvénile englobe des éléments qui ne sont pas des représentations d’enfants. Il s’agit de dessins et d’histoires qui sont explicites et dérangeants, mais qui font tous partie de la loi. Je me demande si l’on craint que ce changement de formulation ne réduise accidentellement les paramètres de ce qui peut faire l’objet de poursuites.

La sénatrice Batters : Merci de cette question. Non, je ne pense pas. J’ai bien lu la définition. Cela n’a aucune incidence sur la définition. Le comité de la Chambre des communes a indiqué très clairement qu’il ne s’agissait en aucun cas de modifier la définition. Lorsque les tribunaux examinent les lois, ils se réfèrent souvent aux comités du Sénat, ainsi qu’à l’examen du comité de la Chambre des communes. En tant que membre du Comité des affaires juridiques et marraine du projet de loi au Sénat, je suis convaincue que nous aurons de nombreux témoins juristes de qualité qui nous donneront des conseils à ce sujet. C’est un élément que les tribunaux examineront — les discours prononcés et les témoignages en comité — en ce qui concerne les définitions. Je ne pense pas que la définition sera modifiée de quelque manière que ce soit. Il s’agit simplement de reconnaître la gravité de ce crime en particulier.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénatrice Batters, je veux d’abord vous féliciter d’être la marraine de ce projet de loi. Je m’interroge depuis longtemps à ce sujet et je juge qu’il est totalement inacceptable que, dans le Code criminel, on utilise les termes « pornographie infantile ». La pornographie — comme vous le savez, je travaille sur ces questions — est qualifiée de « divertissement pour adultes » et il est absolument inacceptable qu’on utilise ces termes pour parler d’exploitation sexuelle.

Cela dit, ces mots datent probablement d’une autre époque où l’on ne faisait pas la différence et où l’on aurait probablement été moins alerté par l’emploi de ces termes. Toutefois, il est plus que temps qu’ils soient modifiés. Donc, merci beaucoup.

Par ailleurs, j’ai une question de traduction à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre maintenant. J’ai toujours utilisé les termes « exploitation sexuelle des enfants » et « matériel d’abus et d’exploitation des enfants » et, dans la traduction française du projet de loi, on utilise un terme — qui n’est pas faux, du reste — qui est celui de « pédosexuel ».

Je trouve plutôt étrange qu’en anglais on parle de « child sexual abuse and exploitation material », mais qu’on utilise en français une expression qui vient du terme « pédophile », qui n’est pas fausse, mais qui est beaucoup moins courante lorsqu’on parle de ces questions. En général, on parle de l’exploitation sexuelle des enfants, et cela recouvre une réalité plus large.

Vous ne pourrez sans doute pas répondre tout de suite à ma question, mais le comité pourrait-il vérifier si ce sont vraiment les meilleurs termes? Si l’on veut vraiment exprimer la gravité de cette question pour le citoyen ordinaire, le mot « enfant » ne devrait-il pas y être?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, sénatrice Miville-Dechêne. Je vous remercie infiniment de tout le travail que vous avez fait dans ce dossier très important. C’est une excellente question. Je n’ai pas la version française sous la main, mais je suis sûre que nous étudierons cela attentivement au comité. Nous devrions évidemment nous assurer d’employer la meilleure traduction et les meilleurs termes possible, car, comme je l’ai dit, les mots sont importants, que ce soit en français ou en anglais.

L’honorable Marty Deacon : Sénatrice Batters, je vous remercie infiniment de vos efforts, de votre collaboration avec la Chambre, et de nous avoir fait part de cela cet après-midi. Je sais qu’il est tard, et que les gens sont fatigués, mais c’est très important. Je pense que cela vient à point nommé, car je ne peux même pas employer le mot « pornographie » lorsque je parle aux familles des gens avec qui je travaille. Je trouve cela tout à fait troublant, gênant et insultant en 2023.

Cela dit, je suis très heureux de voir ce projet de loi. Les données sont alarmantes, troublantes et bouleversantes. Je ne suis pas avocat, mais je me demande dans quelle mesure la modification de ce terme aurait une incidence sur la marge de manœuvre d’un avocat et sur les possibilités qui s’offrent à lui. Outre l’importance d’appeler les choses par leur nom, est-ce que cela change aussi la portée et les circonstances de ce travail?

La sénatrice Batters : Le changement ne nuit certainement pas au travail des avocats. On y a fait très attention. Je crois qu’il y a même un article en particulier du projet de loi à cet égard, et certainement dans le travail accompli à la Chambre des communes et en comité. Il est certain qu’au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous veillerons à ce qu’il s’agisse uniquement d’un changement apporté au terme. Ce changement ne touchera aucunement les définitions. Toutes les parties du projet de loi visent simplement à remplacer « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ». Je suis une avocate; Frank Caputo est un avocat, nous voulons être certains que cette mesure contribue à améliorer la situation. Personne parmi nous ne veut faire quoi que ce soit qui nuirait à ce travail, et nous sommes convaincus que ce n’est pas le cas.

La sénatrice M. Deacon : Je pensais aux possibilités d’amélioration, et pas vraiment aux entraves. Il y a eu des cas intéressants, et je me demande si un tel changement a peut-être aussi amélioré votre travail.

La sénatrice Batters : Oui, comme je l’ai indiqué dans mon discours... Je suis désolée pour l’état de ma voix. C’est très sec ici, et j’ai parlé pendant un bon moment. C’est assurément quelque chose qui est fait à l’international. Nous espérons que ce changement permettra au grand public de mieux comprendre que de tels actes ne devraient même pas pouvoir être considérés comme du divertissement, de l’art ou quoi que ce soit du genre. Ce type de matériel est dégradant et dégoûtant. On inflige de mauvais traitements aux enfants qui sont plongés dans ces scénarios contre leur gré. Ce n’est pas du divertissement. Oui, j’espère que cette mesure législative contribuera à améliorer la situation, même un tant soit peu. Merci.

L’honorable Brent Cotter : Acceptez-vous de répondre à une question, sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

Le sénateur Cotter : Il s’agit d’une excellente initiative — et d’un discours très fouillé. Nous vous remercions tous du travail que vous avez accompli. Votre ami et collègue Frank Caputo a été mon étudiant; je me sens lié à cette question d’une certaine manière. Cela me rappelle mon grand âge.

Ma question est la suivante. Je suis d’accord avec vous pour dire que les mots ont de l’importance, mais est-ce que vous — ou les parrains du projet de loi à la Chambre — êtes rassurés quant à la teneur de l’infraction? Vous avez mentionné les taux élevés de condamnation en Saskatchewan dans les cas où des accusations sont portées, mais comment interprétez-vous les choses? Pensez-vous qu’il faut prendre en compte cette dimension également?

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, sénateur Cotter. J’allais préciser que Frank Caputo est un fier diplômé de la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, tout comme le juge Greg Koturbash, que j’ai cité. Je ne sais pas si vous lui avez enseigné, à lui aussi. Quoi qu’il en soit, merci. Bravo à la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan.

Il y a quelque chose de particulier à propos des projets loi d’initiative parlementaire. Les personnes qui réussissent le mieux essaient de prendre une chose particulière et de la changer.

(1740)

Il y a donc peut-être quelque chose de plus à faire au sujet de la définition ou de je ne sais quoi d’autre, mais c’est la partie particulière que M. Caputo et M. Arnold ont décidé de mettre de l’avant, et je pense que c’est intelligent. Parfois, un projet de loi d’initiative parlementaire peut devenir un peu trop global.

Peut-être que c’est une approche à examiner à l’avenir, mais c’est ce que nous avons choisi de faire pour l’instant. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Patterson (Ontario), le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(À 17 h 41, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 18 avril 2023, à 14 heures.)

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